Les affaires sont les affaires
On vit décidément une drôle d’époque. Il y a à peine quelques mois, les médias, dans leur indécrottable conformisme, bruissaient d’articles, d’interviews, comme autant d’odes à la gloire dugolden boy , ce héros de notre temps. Celui qui, au grand désespoir de Mme Lagarde, prenait l’Eurostar ou le Thalys pour fuir à la City de Londres, la Mecque de la finance, faire ses grandes et ses petites affaires. Celui qui, beau, riche, intelligent, gendre idéal avec l’uniforme de son statut, costume gris foncé impeccable et cravate dans les tons de rouge, pouvait d’un clic de souris ramasser quelques millions d’euros ou de dollars tout en faisant accessoirement (mais quelle importance!) le malheur de quelques milliers de « délocalisés ». Et le voilà devenu suspect. L’idée de l’amnistie des «exilés fiscaux» soulève l’indignation jusque dans les rangs de l’UMP. L’émerveillement fait place à une réprobation aussi vertueuse qu’inédite.
J’ai des archives. Elles sont accablantes. Par exemple, le Monde du 24.02.2007 laissait libre cours à la jubilation de quelques uns de ces petits prédateurs cyniques qui se prennent pour le sel de la terre. Très satisfaits d’eux-mêmes, ils « annoncent sans détour qu’ils gagnent bien leur vie ». Frank affirme: « nous faisons un beau métier, la finance est un monde passionnant à tous points de vue, ouvert sur le monde et touchant tous les secteurs d’activité... L’économie mondiale est en pleine expansion, les sociétés financières en profitent pleinement ». On peut faire la fête, « les filles sont belles, l’ambiance est excellente ». Pauvre garçon, tellement imbu de lui-même qu’il n’a même pas vu venir la catastrophe. Il n’est pas le seul. Plus âgé, le patron, Gérard Augustin-Normand, se rappelle bien que « quand Mitterrand a gagné les milieux financiers étaient complètement
paniqués ». Heureusement, « Pierre Bérégovoy et son équipe ont su réformer et moderniser les marchés financiers, ce qui a été très bénéfique pour notre profession ». Le même Augustin- Normand trouvait, il y a donc 18 mois, sans intérêt que l’on discute des salaires excessifs des patrons, des stock-options, des « golden parachutes »: « si la rémunération est liée à une vraie performance, où est le problème ? » C’est aussi le refrain de Parisot, sauf que c’est rarement le cas et qu’il faudrait de toute façon s’interroger sur le genre de « performance » qui mériterait des
« récompenses » aussi exorbitantes.
Il y a même des golden girls. Une certaine Myriam croit sans doute faire moderne et avertie en resservant des clichés rebattus sur le système social français qui serait « l’un des plus cher du monde ». Elle a été « atterrée » par la réaction des jeunes au CPE qui ne serait évidemment que du conservatisme et se plaint « avec les impôts de travailler deux jours et demi pour l’Etat ». Notons que c’est ce même Etat dans le giron duquel ses semblables viennent aujourd’hui pleurnicher. En fait, ces médiocres petits profiteurs qui se croient des aigles de la finance ne sont que d’infimes satellites prébendiers des vrais riches. Le président de Richelieu Finance discourait avec impudence: « la moitié des foyers ne paient pas l’impôt sur le revenu, ça les déresponsabilise complètement. Il faut que tout le monde paie l’impôt, même une somme symbolique pour les foyers modestes. C’est un geste citoyen important, la seule façon pour que l’ensemble de la population se sente concerné par le financement de l’Etat ». Il devrait maintenant en parler à Sarkozy, car qui trouve-t-on dans cette moitié de foyers qui ne paient pas l’impôt? En combinant le bouclier fiscal à 50% et les niches fiscales pour riches, on s’aperçoit que les patrimoines supérieurs 15,5 millions d’euros échappent à toute imposition. Cela doit drôlement les « déresponsabiliser »! L’exemple vient bien sûr d’outre-atlantique. L’an dernier, Warren Buffett, un des hommes les plus riches du monde, dont on parle pour conseiller Obama, pérorait dans un dîner mondain pour milliardaires: « dans cette salle, nous sommes 400 à verser à l’Etat une proportion plus faible de nos revenus que les domestiques que nous employons ». Autrement dit un milliardaire paye moins d’impôt que son chauffeur! C’est sans doute ça la justice fiscale.
Quant à la récompense de la « performance », elle apparaît clairement pour ce qu’elle est avec les banques Fortis et Dexia qui, à peine renflouées par l’argent de cet Etat méprisé mais appelé au secours pour solder les conséquences de la débâcle causée par leur impéritie, se payent à deux jours d’intervalles un raout pour leurs « cadres » à l’Hôtel de Paris, le plus cher de Monaco, pour respectivement 150 000 et 200 000 euros! Aux USA, la direction de l’assureur AIG, tout juste nationalisé, s’octroie d’office un week-end à 400 000 dollars pour évacuer son stress! Quant à la banque Lehman Brothers, la perspective du naufrage proche ne l’empêchait pas de prévoir les millions de « bonus », comme ils disent, à distribuer à ses dirigeants, tout en sollicitant dans le même temps l’aide du secrétaire d’Etat au Trésor. Son président, Richard Fuld, responsable de sa retentissante faillite, a pu, pour sa part, s’en aller tranquillement avec les 480 millions de dollars engrangés en 3 ans. Pour une performance, c’est une performance!
10 novembre 2008