Sur le centenaire du PCF : Histoire et préjugés

Écrit par Gérard LS le . Publié dans Communisme

 

 

Le 12 décembre dernier, le journal Sud-Ouest publiait une chronique de M. Michel Winock prétendument consacrée au « centenaire du PCF »… Prétention abusive et rien que l’on ne sache déjà… Un texte bâclé, hâtif, cousu de poncifs, d’approximations et de contre-vérités qui, comme autant de légendes urbaines, finissent par sembler crédibles à force d’avoir été rabâchées. Pour M. Winock, le Congrès de Tours en décembre 1920, où fut créée, à une large majorité des délégués, la Section française de l’Internationale communiste (SFIC), se réduit à un show de Léon Blum dont une longue citation tient lieu d’analyse et de verdict sans appel. Le Congrès de Tours, ce n’est que Léon Blum en majesté, à la fois victime et prophète. Un manque de sérieux évident que M. Winock tente de masquer en ironisant avec jubilation sur ce qu’il pense être « l’agonie » du PCF. On lui laissera ce petit plaisir.

Quant à l’histoire, on repassera. Certes, on n’attend sur ce sujet aucune bienveillance de M. Winock dont le statut d’historien officiel autorise tous les écarts. J’y reviendrai. Même dans le cadre étroit d’une chronique, un historien consciencieux se devrait d’évoquer le contexte historique autrement que par les sombres desseins d’une inquiétante Internationale communiste. Ce contexte est imagé par la belle formule de Jean Fréville (Eugène Schkaff), « né du feu », dans un ouvrage dont le caractère certes hagiographique fait pendant à l’hostilité fielleuse de M. Winock : « Né du feu de la guerre, du feu de la Révolution russe, du feu intérieur qui, depuis Babeuf, a embrasé des milliers de révolutionnaires français tombés pour l’émancipation des travailleurs, le Parti communiste français répond à une exigence de l’histoire. Il a renoué le fil brisé de la grande tradition socialiste » (Né du feu, Editions sociales, 1960, pp.105-106). D’accord ou pas, cela a une autre allure que l’apitoiement sur la défaite de Léon Blum dont on ne remarque pas assez qu’en refusant le résultat du vote majoritaire et en provoquant une scission il s’est livré à un authentique déni de démocratie .

Dès sa fondation, le Parti communiste a suscité le mépris et la haine de la bourgeoisie. Son immense et, aux yeux de l’idéologie dominante, impardonnable mérite aura été de doter la classe ouvrière d’un personnel politique autonome issu ses rangs et ainsi de « se doter d’une identité politique qui ne soit pas médiatisée par un personnel politique étranger à (son) univers social » (Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Presses de la FNSP, 1980, p.320). Ce qu’on appelle avec dédain « l’appareil » (quelle formation politique n’en a pas?) a été l’instrument qui a permis de constituer et transmettre un ensemble de ressources culturelles, sociales et politiques propres mobilisées pour mettre durablement en cause les logiques bourgeoises de la domination de classe. C’est aussi la raison d’être de ces révolutionnaires professionnels dont le dévouement admirable a fait toute l’épopée du Komintern avec ses ombres et ses grandeurs. Selon l’historiographie bien-pensante à la Winock, l’Internationale communiste n’aurait jamais été qu’un épouvantail manipulé par Staline lequel, par exemple, aurait manigancé tout seul dans son coin la ligne du Front populaire dans les années 30 ! Est-ce si simple ? On sait aujourd’hui que la stratégie du Front populaire a été initiée par Thorez et Togliatti avec l’appui de Georges Dimitrov, secrétaire du Comité exécutif de l’IC et que Staline s’y est rallié… Mais M. Winock n’est pas à une approximation près !

M. Winock mentionne bien entendu le pacte germano-soviétique d’août 1939. Et c’est normal. Mais là aussi sans la moindre nuance. Est-ce donc si difficile de reconnaître que le cynisme de Staline signant le pacte est une sorte de réponse du berger à la bergère, en l’occurrence le cynisme de Daladier et Chamberlain signant les Accords de Munich en septembre 1938, livrant délibérément la Tchécoslovaquie à Hitler en comptant bien que celui-ci s’attaquerait ensuite à l’Union soviétique… Mais M. Winock préfère suggérer, conséquence du pacte, l’existence d’incertaines consignes de « fraternisation avec les troupes d’occupation » émanant du Parti communiste en 1940. Illusions sur l’origine populaire des soldats de la Wehrmacht peut-être, mais il n’y a eu bien entendu aucune directive nationale de ce genre que de toute façon il aurait été bien difficile de diffuser étant donné l’état de désorganisation alors du Parti. Peut-être M. Winock confond-il avec la ligne de « défaitisme révolutionnaire » qui était alors celle des trotskistes… Encore une approximation… Mais il est un fait que M. Winock aurait pu évoquer s’il ne se livrait pas à un procès à charge. Le 9 juin 1940, Benoît Frachon, au nom de ce qu’il restait du Comité central, transmettait au gouvernement Paul Reynaud ( où se côtoyaient encore les ministres poussant à un armistice avec l’Allemagne, dont un certain Pétain, et d’autres militant pour la poursuite de la guerre, dont un certain De Gaulle...) un ensemble de propositions pour la défense de Paris : « Transformer le caractère de la guerre, en faire une guerre nationale pour l’indépendance et la liberté (…). Il faut armer le peuple et faire de Paris une forteresse inexpugnable » (Le Parti communiste français dans la Résistance, Editions sociales, 1967, pp. 48-49)… Et cela un an avant l’invasion de l’URSS par les nazis (juin 1941). L’intermédiaire de cette démarche s’appelait Georges Politzer, philosophe communiste il connaissait le ministre des travaux publics, Anatole de Monzie, qu’il avait rencontré, comme Pierre Abraham, dans le cadre de la rédaction de l’Encyclopédie française dont de Monzie était le maître d’oeuvre. M. Winock connaît d’autant mieux cet épisode qu’il est mentionné dans la notice individuelle consacrée à Politzer dans le dictionnaire des intellectuels français qu’il a lui-même commis avec son compère Jacques Julliard (Dictionnaire des intellectuels français, Seuil, 1996, p.900).

Le plus inacceptable peut-être dans le libelle de M. Winock est la façon dont il entreprend de disqualifier la Résistance communiste. Il raille la fameuse formule du « parti des 75 000 fusillés », traitée de « pure galéjade de propagande » ! On peut parfaitement discuter ce chiffre et cela a été fait. Abondamment. Mais le terme inutilement blessant de « galéjade » est-il adéquat ? M. Winock ne s’est-il pas quelque peu laissé aller et cette rhétorique badine n’aurait-elle pas pour objectif inavoué de relativiser insidieusement le martyre des milliers (M. Winock m’accordera cette estimation) de résistants communistes assassinés par les nazis ? A partir de quel nombre méritent-ils le respect ? Les biographies de ceux de Souge, en Gironde, sont à sa disposition (Les 256 de Souge. Fusillés de 1940 à 1944, Le Bord de l’eau, 2014). La désinvolture avec laquelle M. Winock parle de leur sacrifice (une « auréole de geste résistante »!) est indécente, indigne et insultante.

En fin d’article, M. Winock jette le masque. Il reproche au PCF d’avoir « contribué à contrecarrer la formation d’une véritable social-démocratie à l’allemande ou à la scandinave ». C’est visiblement un regret personnel qu’il exprime. Mais, en tant qu’historien, de quoi se mêle-t-il ? Et de quel lieu parle-t-il sinon de l’extrême-centre incarné dans les années 60 par cette gauche réformiste, rocardienne et cédétiste, antimarxiste et anticommuniste, qui a fait délibérément le lit du néo-libéralisme et dont il est, à l’évidence, un idéologue. Le PCF aurait « préféré la lutte des classes à la défense des travailleurs par la réforme, la négociation et le compromis ». M. Winock donnant des leçons sur la meilleure manière de défendre les travailleurs, c’est assez comique ! Quant à la lutte des classes, il en fait une sorte de tactique qu’il serait loisible d’utiliser ou nom… Il sait bien que ce n’est pas du tout cela. La lutte des classes est un état de fait, le mode de fonctionnement de nos sociétés inégalitaires fait de toutes sortes de dominations à commencer par la domination de classe ce qui génère de multiples conflits qu’aucun compromis (parfois inévitable) ne saurait définitivement régler.

On sait que, en histoire comme en sciences sociales ou en économie politique, la « neutralité axiologique », selon la formule de Max Weber, est une fiction. C’est au chercheur d’assumer ses préjugés et parti-pris dans la distinction entre faits et valeurs. Parvenu au sommet de la gloire académique, M. Winock n’a pas de ces pudeurs et ne cherche plus à dissocier la vérité historique de ²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²²² ses propres options politiques. On dirait que la ministre Frédérique Vidal s’adressait à lui en invitant les universitaires (sur une toute autre question) à « distinguer ce qui relève de la recherche et ce qui relève du militantisme et de l’opinion ».

NIR 261. 1er mars 2021