Ambiguïtés. Contribution au 33ème Congrès du PCF
Je n’ai pas voté le texte de ce qui est aujourd’hui notre base de discussion. Ce texte n’est sans doute pas foncièrement mauvais: il regorge même de bons sentiments et de bonnes intentions, malheureusement souvent exprimées sous la forme de généralités, de lieux communs ou d’expressions toutes faites
Sur le plan du contenu, ce texte est parfaitement hétérogène, pour ne pas dire hétéroclite: ne nous racontons pas d’histoire, il est, à l’évidence, le résultat d’un compromis entre les tendances constituant la majorité qui, au CN, l’a élaboré. On passe ainsi de propositions carrément réformistes, comme lorsqu’on parle de « disputer au capitalisme et au libéralisme réalisme et efficacité » (j’y reviendrai) à des propositions d’un utopisme radical comme le « dépassement du salariat ». Cette difficile cohérence des points de vue explique sans doute l’absence ou l’insuffisance d’analyses sur les rapports des classes sociales en France aujourd’hui; sur les formes que prend l’importation de la « révolution reaganienne » néo-libérale ou sur la mondialisation réduite à une généralité (juste mais un peu courte) selon laquelle « la lutte des classes et la domination de la bourgeoisie ont pris une dimension planétaire et universelle »
Plus préoccupant, c’est un manque d’approfondissement qui conduit, me semble-t-il, à de regrettables concessions à la pensée libérale dominante. Je voudrais ici en donner quelques exemples.
1. Comment ne pas être consterné de voir la « rébellion contre les élites » rangée dans la catégorie des « confusions et régressions idéologiques et culturelles » au même titre que la xénophobie ou le vote FN! A croire que certains n’ont rien compris au vote du 29 mai! C’est rejoindre les insultes (xénophobie, populisme...) proférées par l’ensemble de l’appareil politico-médiatique contre les électeurs du NON. C’est ignorer que le vote antilibéral a été permis par le refus, le rejet des injonctions de l’ensemble des élites politiques, économiques, médiatiques. Non seulement la rébellion contre les élites n’est pas une régression mais c’est au contraire ici une manifestation remarquable de la maturité politique et de la capacité de résistance idéologique d’une majorité d’électeurs.(Amendement: Je propose donc de retirer la « rébellion contre les élites » de la liste des « régressions idéologiques », de la remplacer, par exemple, par « la méfiance (ou la défiance) envers la politique » et de placer en fin d’alinéa l’amendement suivant: « le rejet par une majorité d’électeurs, le 29 mai 2005, des injonctions des élites politiques, économiques et médiatiques est une manifestation positive de la maturité politique de notre peuple ».)
2. On ne peut qu’être frappé par ce qui apparaît souvent, dans ce texte, comme une sous-estimation des luttes populaires et une surestimation du capitalisme. Voire, comme l’a remarqué un camarade dans la tribune de discussion, une sorte de fascination à son égard.
- Sur le capitalisme, on nous dit que « du lendemain de la Seconde guerre mondiale aux années soixante-dix, son développement a intégré le principe de l’Etat- Providence ». C’est un point de vue social-démocrate! D’abord, l’expression « Etat- Providence » est une expression négative inventée par les libéraux pour disqualifierl’Etat social, ce que Pierre Bourdieu appelle « la main gauche » de l’Etat. On ne saurait reprendre cette expression à notre compte. Il n’y a rien de providentiel dans le principe de la redistribution des richesses... Principe qui a été imposé au capitalisme. Celui-ci a toujours voulu en limiter la portée au gré des rapports de force. Aujourd’hui, il veut carrément éliminer l’Etat social et le remplacer par l’Etat pénal(et cela dès la crèche...) Cette problématique est peu abordée dans notre texte et ne relève pas, comme il est dit, d’une simple « surenchère sécuritaire » mais d’un véritable projet de société.
Je suis sidéré de voir un texte de congrès vanter ce qui serait certaines vertus du capitalisme, précisément son « efficacité », dont il faudrait s’inspirer!
On parle de « prendre ce qu’il y a de plus socialement efficace dans le capitalisme pour le subvertir »!
On parle d’ « axes de propositions qui disputent au capitalisme et au libéralisme réalisme et efficacité »!
Quelle illusion! Ce sont les sociaux-libéraux qui louent l’ « efficacité » du capitalisme. Depuis quand le capitalisme est-il « socialement efficace »? « Efficace » pour quoi et pour qui? Faut-il rappeler que le capitalisme n’est pas « efficace » pour produire des richesses mais pour générer un profit individuel? Faut-il rappeler que son « réalisme » consiste à écarter tout ce qui pourrait amoindrir le taux de ce profit? En particulier ce qu’on appelle habituellement les « droits sociaux ». Les droits sociaux n’ont aucune place dans le fonctionnement capitaliste; ce ne sont que des coûts parasitaires qui ne peuvent qu’affecter négativement le taux de profit! Si l’on compte sur l’ « efficacité » capitaliste, le « social » ne peut apparaître que comme un surplus éventuel et incertain qui serait dispensé chichement sous forme d’assistance à des pauvres culpabilisés d’être des perdants. En ce sens, la fameuse expression
« économie sociale de marché », qui réjouit tant les sociaux-libéraux, est ce qu’on appelle en rhétorique un oxymore, c’est-à-dire une expression dont les termes sont contradictoires: une économie de marché ne peut pas être sociale!
Peut-être faut-il rappeler ici la célèbre apostrophe d’Adam Smith, un des fondateurs, au XVIIIème siècle, de l’idéologie économique libérale:
« Nous n’attendons pas notre dîner de la bienveillance du boucher , du brasseur ou du boulanger, mais de ce que ceux-ci considèrent comme leur propre intérêt. Ce n’est pas à leur humanité que nous nous adressons, mais à leur égoïsme, nous ne leur parlons jamais de nos propres besoins mais de leur avantage ».
C’est ça l’efficacité du capitalisme!
3. ... Et pour conclure, j’ai compris à quel point était insuffisante cette notion de« dépassement du capitalisme » qui est au fondement du texte de Base commune. « Dépasser », c’est aller au-delà, ce n’est pas renverser ou abolir. Cela suppose un processus: il s’agit d’une conception évolutionniste grosse de dérives réformistes. Le texte parle très exactement d’un « processus révolutionnaire de dépassement du capitalisme ». Il faut savoir ce que les mots signifient, ils ont leur importance pour rendre notre projet lisible: un « processus », c’est un développement progressif, synonyme d’évolution... J’aimerais bien que quelqu’un m’explique ce que peut bien être une « évolution révolutionnaire »! Et ce n’est pas qu’un jeu de mots: comment s’étonner du manque de lisibilité de nos propositions si on laisse subsister de telles ambiguïtés...
Il faut renverser l’ordre des choses capitaliste, « abolir l’état de chose existant » comme disait quelqu’un. La formule « dépassement révolutionnaire » me convient assez bien. Mieux qu’une illusoire « rupture », il s’agit d’un dépassement dialectique mettant l’homme (et non l’ « individu » dont se gargarise le texte) comme moyen et comme fin du procès de production de richesses. Il s’agit de savoir si notre objectif est bien de mettre fin au règne de la marchandise et du profit individuel comme moteur d’une société du chacun pour soi où chaque « individu » est en compétition permanente avec tous les autres.
Intervention pour le 33ème Congrès du PCF, juillet 2006