Pourquoi je ne signa pas le texte dit "Appel de Bègles"

Je suis de ceux qui, lors de la consultation interne au PCF, ont voté pour le retrait de la candidature de Marie-Georges Buffet afin de préserver ce qui pouvait rester de perspectives unitaires, fut-ce au prix d’un injuste renoncement. J’ai regretté et je regrette encore que l’option d’une autre candidature communiste n’ai pas été examinée. Des amis et camarades que j’estime et dont je respecte la sincérité ont proposé et signé un texte appelant à une seule candidature antilibérale. Je ne doute pas des bonnes intentions de cet Appel, sauf qu’il n’hésite pas à mettre dans le même sac Besancenot, Bové et Buffet: « trois candidats qui prétendent incarner chacun dans leur pré carré un même programme ». C’est peu dire que cette appréciation me paraît parfaitement inacceptable. L’ Appel poursuit: « Peu importent ici les postures et les stratégies ». Hé bien si, parlons-en!

1. En ce qui concerne la candidature d’Olivier Besancenot, évoquer l’hypothèse de son retrait est hors de propos. Depuis le début, la stratégie de la LCR est claire avec la mise en place très tôt de son candidat, sans avoir eu visiblement à aucun moment la moindre intention de participer à quelque candidature antilibérale que ce soit, sauf si c’était pour imposer son joli candidat médiatique. Et toujours en s’accrochant à son prétexte un peu grossier de refus de tout compromis (que personne ne préconise) avec le PS. Un PS à qui on réclame néanmoins le parrainage d’élus...

2. En ce qui concerne la candidature de José Bové, on remarquera que celui-ci s’était justement retiré du débat -sans doute indigne de sa stature- mené par les collectifs antilibéraux sur les candidatures. Mais, sorti par la petite porte, le voilà revenu par la lucarne d’une pétition Internet aussi opportune qu’élitiste (tout le monde n’a pas Internet). Puis ce fut la parodie de Montreuil, une manipulation minoritaire où s’est désigné le sauveur suprême. Argument décisif et hautement politique: « des picotements au ventre »... Ce qui est soit une consternante niaiserie, soit l’aveu d’une dévorante ambition personnelle. Ou les deux! Mais José apprend vite: il prétend représenter des collectifs antilibéraux où il était en minorité; il essaye de piquer les parrainages du voisin... Ce qui s’appelle: faire de la politique autrement! Il est vrai que certains de ses partisans -comme son directeur de campagne- sont des apparatchiks émérites. Parmi ses soutiens, il y en a qui commencent à la trouver mauvaise. Le MARS et la Gauche républicaine se retirent: considérant qu’il n’y a pas de consensus des « collectifs unitaires » pour José Bové et que la « Coordination nationale des collectifs » est une fiction, ils refusent de cautionner, je cite, « une usurpation du cadre unitaire ». On ne saurait mieux dire.

3. En ce qui concerne la candidature de Marie-Georges Buffet, il y a une réalité incontournable: elle avait une préférence majoritaire dans les collectifs antilibéraux. Si bien que certains ont osé ressortir le pitoyable argument d’un « noyautage » des collectifs par les communistes. En 2005, curieusement, on ne s’est pas demandé si, par hasard, les communistes ne
« noyauteraient » pas les comités du NON. La candidature de MGB s’est d’abord heurté à la règle dite du « double consensus ». Un texte de septembre 2006 parle de « double consensus au sein des collectifs et entre les organisations ». Cela est devenu, dans la pratique, double consensus entre les collectifs locaux et le collectif national. Je m’interroge sur la nature du collectif national: était-ce une émanation des organisations et mouvements politiques, leur représentation en quelque sorte? En ce cas quelles organisations Autain, Bové, Jennar et quelques autres représentaient-ils? Où bien ne représentaient-ils qu’eux-mêmes? Il y a pour moi, jusqu’à plus ample informé, un flou dans le statut du collectif national, ce dont certains ont profité pour chercher à le transformer -abusivement- en instance décisionnelle. En outre ce que je peux savoir de sa composition, avec beaucoup d’
« experts » en particulier, me paraît en décalage avec celle des collectifs locaux. Je crains que l’on se soit trouvé dans une situation hélas bien connue où le petit peuple des militants de base ayant mal voté, l’élite de la pensée antilibérale se devait de corriger ses errements.

Le principal argument, au collectif national en tout cas, pour récuser la candidature de MGB a été que le candidat antilibéral ne pouvait pas être le responsable d’un parti politique. Etrange. Après tout la question méritait d’être posée, sauf qu’elle avait été tranchée dans un texte de novembre 2006: « tout préalable pour quiconque ou contre quiconque est à rejeter car il signifierait évidemment une exclusion de fait ». Or, c’est bien cette exclusive qui est ressortie du chapeau quand il s’est avéré que le nom de MGB emportait l’adhésion dans une majorité de collectifs locaux. Je considère que cette réutilisation d’un interdit rejeté au départ est une manœuvre politicienne. L’aversion déclarée de certains envers les (le) partis politiques me paraît très suspecte et il me semble de plus en plus avéré qu’il y avait chez beaucoup pas mal d’arrière-pensées, y compris, disons-le, celle d’avoir la peau du PCF, tout en faisant ami-ami. Il suffit de parcourir aujourd’hui quelques blogs et sites internet, où un anticommunisme que l’on croyait passé de mode ou réservé à la droite ou à l’extrême-droite se lâche complètement, pour s’en convaincre. Prenons Michel Onfray, philosophe estimable mais piètre historien, on se demande comment il a pu envisager un seul instant de partager une même candidature avec ces traîtres à la classe ouvrière que seraient les communistes, collaborateurs et antisémites qui plus est, puisque c’est l’opinion qu’il affiche d’eux! On remarquera que ce sont les mêmes idées que véhicule B-H Lévy dans L’Idéologie française: le PCF serait un parti pétainiste et antisémite parce qu’il critique le pouvoir de l’argent et le capitalisme... Un capitalisme dont on notera avec intérêt, si je puis dire, que Michel Onfray se dit partisan.

Un certain nombre d’antilibéraux affichés m’ont donné, comme le dit l’écrivain Denis Fernàndez-Recatalà, la sale impression « qu’on veut bien inviter les communistes à la table, à condition qu’ils règlent la note sans sourciller, qu’ils fournissent les marmitons et servent de valetaille ». Après tant de singuliers atermoiements, la désignation de MGB ne s’est pas faite dans les meilleures conditions et, il est vrai, en dehors du cadre prévu rendu inopérant par des blocages délibérés. Nous sommes tous orphelins d’une candidature unitaire, mais dans l’état actuel des choses, c’est la candidature de Marie-Georges Buffet qui me paraît -et de loin- la plus légitime pour incarner véritablement une gauche à la fois populaire (quitte à passer pour « misérabiliste » aux yeux de certains antilibéraux) et antilibérale.

Paru dans les Nouvelles, 12 mars 2007

Gérard LOUSTALET-SENS