Quelle organisation pour quel changement de société? Contribution au 34ème Congrès du PCF

Écrit par Gérard LS le . Publié dans Communisme

Cela a été dit, cette « liste de discussion » est insuffisamment fréquentée. Je vois deux raisons à cela. La première est contingente: le débat par messagerie électronique est beaucoup moins répandu qu’on veut bien le dire. Certains le maîtrisent à la perfection et d’ailleurs sur les sites et forums (y compris Bellaciao), ce sont souvent les mêmes qui reviennent s’exprimer, formant des réseaux de connivence où l’on discute finalement entre soi. Le débat sur Internet est pratique, intéressant et nécessaire mais il n’est sans doute pas prêt à se substituer -et est-ce souhaitable?- à la discussion de vive voix et en face à face

La deuxième raison est plus fondamentale: je crois que les communistes sont perplexes, indécis. Interrogations et hésitations conduisent à une attitude un peu attentiste. Et c’est normal. Nous allons avoir à faire des choix décisifs qui doivent être longuement réfléchis. Bienheureux ceux qui, aujourd’hui, ont des certitudes... Cela ne les autorise cependant pas à être intolérants! Un exemple: il apparaît, à l’issue de l’Assemblée extraordinaire, qu’une majorité des adhérents du PCF qui se sont prononcés souhaite conserver la référence communiste. La résolution votée mentionne néanmoins que toutes les hypothèses, dans le débat, restent possibles, donc celle d’un éventuel renoncement à cette référence. Voilà qui a fait hurler certains, considérant que cette option devait être de toute façon et d’entrée écartée! Mais au nom de quoi une opinion (que je ne partage pas), fut-elle minoritaire, serait-elle interdite d’expression? Faut-il avoir peur de la controverse? Je crains qu’en matière de démocratie certains camarades n’aient rien appris ni rien oublié! J’ajoute que sur certains sites la discussion prend des allures parfaitement inacceptables avec des invectives tout à fait déplacées (pour être poli) traitant par exemple tout ce qui bouge de « liquidateurs », en particulier une direction composée de néo-traîtres complotant le sabordage du Parti contre un plat de lentilles social-libéral. Dans les années 70, les maoïstes, devenus depuis si raisonnables pour la plupart, nous traitait de « révisos ». Manquent plus que les « vipères lubriques et rats visqueux » du regretté procureur Vychinski... Tout cela n’est pas sérieux. Le débat mérite un peu plus de tenue.

PCF relooké ou dilution antilibérale?

Ce que nous avons à travailler tient en une proposition assez simple: quelle organisation voulons-nous pour quel changement de société? Vaste programme, comme dirait l’autre! En ce qui concerne l’organisation, sa dénomination dépendra évidemment de la structure et du fonctionnement que nous entendrons lui donner. J’ajoute que ce n’est pas un problème exactement secondaire: on ne peut pas ignorer la force de la valeur symbolique attachée aux mots. L’appellationParti communiste français peut être conservée, ce qui nécessiterait une sérieuse opération de régénération, Georges Séguy parle de « métamorphose » (Huma, 30.11.2007) : il serait futile de faire semblant de méconnaître le poids des erreurs massives et des symboles usés qui arrivent à masquer l’immense héritage positif de son action. Il y faudra plus qu’un changement de fond en comble de la direction et, en guise de réflexion, le poncif creux d’un « retour aux fondamentaux ». Mais ça peut se discuter. Pour ma part, adhérent depuis 45 ans et n’ayant de leçon à recevoir de personne (ni à en donner, d‘ailleurs), l’étiquette Parti communiste français ne me paraît nullement intangible.

Quelles autres propositions se font jour? Patrice Cohen-Seat parle d’un « acteur politique nouveau » et Jean-Claude Gayssot, quasiment dans les mêmes termes, d’une « force politique nouvelle » (Huma, 10.11.2007). Celui-ci en indique les contours: une composante communiste serait associée -Gayssot ne précise pas sous quelle forme- à des socialistes, des écologistes, des alter mondialistes, des syndicalistes, des militants d’extrême-gauche unitaires. Ce rassemblement rappelle deux expériences: celle de Die Linke en Allemagne et celle du Collectif antilibéral national. Pour Die Linke, outre que la « composante » communiste ne se manifeste guère en tant que telle, les conditions historiques de sa formation paraissent difficilement transposables. Quant aux collectifs antilibéraux, utiles ponctuellement et localement (les comités du NON au TCE), il me semble que leur rassemblement national n’a pas été une particulière réussite, d’autant que le seul projet de quelques uns paraissait être d’écarter l’idée communiste et d’isoler son organisation. Sans compter que, disons le, certains altermondialistes ou écologistes ne sont souvent que de pâles réformistes. La nature de la « composante » communiste, dans cette hypothèse, n’est pas à ce jour définie. Il existe, en tout cas, ici, selon moi, un risque, celui d’une « cosa » à l’italienne dont on a vu la triste évolution.

Un « mouvement » communiste?

Les propositions de Lucien Sève, on ne s’en étonnera pas, sont très élaborées (Texte sous le titre « le « communisme » est mort, vive le communisme! », 12.11.2007). Elles comptent mettre en pratique deux idées qui ne sont pas nouvelles: d’une part, le communisme n’est pas une forme de société achevée mais le mouvement même qui transforme le monde; d’autre part, la structure de parti verticale où l’information et les décisions d’action circulent essentiellement de haut en bas, de la direction à la base, est devenue impraticable. Selon LS, le centre de gravité de l’action politique doit donc dorénavant résider dans des initiatives de terrain, mises en œuvre par des « ateliers » organisés sous forme d’un maillage et échangeant horizontalement leurs expériences, informations, analyses à travers des instances nommées conseils, l’ensemble relevant d’un « mouvement » et non plus d’un parti.

« Initiatives de terrain »? LS récuse un peu vite l’objection de spontanéisme: les revendications immédiates et locales ne vont pas toujours forcément dans le sens de l’intérêt général et il faudra bien que quelques uns (les plus éclairés?) fassent le tri parmi les rébellions individuelles, les frondes particularistes et les contestations parcellaires. Dire cela n’est pas se méfier de la démocratie mais tenir compte d’évolutions où l’idéologie libérale a produit ses effets individualisants et d’adhésion aux formes de la domination. Ce qui indique en creux la nécessité d’une pédagogie de l’action communiste en particulier pour la mobilisation solidaire dans des luttes nationales, européennes, voire plus!

Le mouvement ainsi préconisé par LS pourrait se nommer Initiative communiste, intitulé rendant compte à la fois « de sa raison et de son mode d’être ». Un Conseil national travaillerait à centraliser l’expérience, cerner les problèmes, décentraliser les résultats. Cette organisation communiste autonome serait à même de conclure quelque « pacte » avec des formations diverses. Le projet est séduisant. Les contours m’en paraissent pourtant un peu lâches et la cohésion de l’ensemble sujette à caution. Pour ma part , je tiens que toute organisation politique a besoin -hé oui!- d’un appareil, ne serait-ce que pour des raisons pratiques et matérielles, représentation, centralisation et distribution des ressources... Je sais combien cette notion d’appareil a une mauvaise image. Le PCF a ici une lourde responsabilité. Sa seule stratégie, dans diverses périodes, n’a résidé, en effet, que dans la sauvegarde, la pérennité et la reproduction de son appareil (voir les longs secrétariats de Thorez et Marchais), c’est-à-dire dans la préservation de positions établies fondées sur la cooptation et protégées de toute mise en cause par l’institution de véritables mécanismes de domination des dirigeants par rapport aux dirigés (le centralisme démocratique n’était rien d’autre que cela!) Le concept de révolutionnaire professionnel a été, pour moi, d’une grande noblesse et la fonction de permanent nécessaire pour doter la classe ouvrière d’un personnel politique autonome et disponible... Une disponibilité qui ne posait aucun problème au personnel politique de la bourgeoisie. La fonction, on le sait, s’est parfois? souvent? routinisée, donnant naissance à la figure de l’apparatchik. Il y a peut-être plus grave: c’est la confiscation de la parole ouvrière, l’appareil, en prétendant parler au nom de la classe ouvrière, parlant le plus souvent à sa place! Compte tenu de cette expérience, un appareil doit rester à sa place -nécessaire- celle d’un instrument et non d’un but en soi. Cela suppose une structure cohérente mais souple afin de ne pas reproduire les phénomènes de sujétion militante que l’on a pu connaître.

Pour un Parti des communistes de France

On aura remarqué que LS maintient la référence communiste. J’en suis aussi partisan, pour deux raisons: l’une, fondamentale, que je préciserai dans un second texte; une deuxième toute pragmatique, qui ne demande pas un long examen et qui ne saurait être déterminante: en cas de renoncement à l’étiquette communiste, nos adversaires, en particulier nos bons amis des médias, auraient tôt fait de nous affubler systématiquement, par ironie et dérision, du sobriquet d’ « ex- communiste », en en faisant un reniement contre-productif! Cela dit, l’organisation communiste à (re)construire doit aller, me semble-t-il, au-delà du Parti communiste français actuel, c’est-à-dire rassembler le plus possible de ceux qui se pensent communistes ou se réclament du communisme dans leur diversité. En ce sens, et sans encore aborder des problèmes d’organisation dont on imagine la complexité, je serais favorable à une appellation à laquelle j’avais déjà pensé il y a quelques années et qui est avancée aujourd’hui par quelqu’un comme Francis Combes (www.gauche-communiste.org... dont je ne partage pas forcément toutes les options): le parti des communistes de France. Parti renvoie à la nécessité d’une cohérence structurelle, le pluriel decommunistes à la pluralité aujourd’hui des points de vue communistes, pluralité qu’il serait aberrant d’affecter d’ignorer: que l’on songe qu’au sein même du PCF actuel on trouve, il faut bien le dire, presque une dizaine de courants, tendances ou fractions plus ou moins organisés. La nouvelle organisation devra pratiquer une réelle ouverture et considérer comme une richesse le débat institué entre optiques diverses mais aussi prévoir, comme le souligne FC, « sa contrepartie obligée, la recherche permanente de l’unité, de façon fraternelle, dans la discussion et l’action ». Je continue ainsi de considérer comme inadmissible l’épisode lamentable de 2007 où la direction s’est avérée impuissante devant le comportement de certains qui, élus sous l’étiquette communiste, se sont carrément assis dessus, pour soutenir, sans même avoir l’élémentaire honnêteté de se démettre de leur mandat, une cause rivale de celle décidée, à tort ou à raison mais majoritairement, par les militants! Cette attitude ne relève pas de la simple indiscipline, ce qui serait après tout plutôt sympathique, mais au mieux de la déloyauté, le mot exact étant: forfaiture!

Ce projet de Parti des communistes de France est évidemment très insuffisamment élaboré et doit, s’il présente quelque intérêt, susciter d’autres réflexions. D’autant que l’organisation à (re)construire doit être le moyen adéquat pour le but à préciser, à savoir le changement de société que nous souhaitons. J’emploie à dessein le terme neutre de « changement », tout en soulignant que ce changement pour être radical doit sans doute être communiste. Ce qui fera l’objet d’un second texte.

Contribution pour le 34ème Congrès du PCF

Gérard LOUSTALET-SENS Le 7 février 2008