« Ce sont les masses qui font l'histoire... »

     Ce n'est pas désobligeant de le dire mais il faut bien le constater, le projet politique du mélenchonisme n'est pas anticapitaliste. On peut le dire keynésien et donc en faveur d'une sorte de capitalisme à visage humain. Son principal inspirateur, l'économiste Jacques Généreux, évoquait pourtant en 2003 la nécessité d'une « alternative au capitalisme après la victoire de l'altermondialisme », sans cependant proposer de perspective convaincante (Chronique d'un autre monde, pp. 229-233). Sauf erreur de ma part, ni le substantif capitalisme, ni l'adjectif capitaliste à aucun moment n'apparaissent dans le texte du « Programme de la France insoumise et de son candidat », L'Avenir en commun. Sans doute des « pudeurs de gazelle » ! On tourne autour du pot en parlant d'oligarchie, de caste, d'oligarchie financière, de finance, d'actionnaires, de grands groupes, de grandes firmes... mais de capitalisme, point ! Comment tout cela peut-il bien fonctionner ? A titre de comparaison, et sans vouloir établir de palmarès, le programme du PCF, La France en commun, évoque les « logiques capitalistes », la « mondialisation capitaliste » et dénonce, sans avoir peur des mots, le « mode de production capitaliste » (p.61). On pourra dire que cette absence n'est pas une preuve décisive mais, tout de même, que le mode spécifique de production de la valeur à l'origine de tous les maux que le mélenchonisme entend combattre, et avec des propositions le plus souvent très pertinentes, ne soit pas nommé est pour le moins gênant.

     On reviendra sur cette question ainsi que sur un certain nombre de présupposés idéologiques et ce qui en découle. Comme le rappelle la philosophe Chantal Mouffe que l'on dit être une inspiratrice du mélenchonisme, le modèle keynésien a été la « pierre angulaire de la social-démocratie » (L'illusion du consensus, Albin Michel, 2005, p.87), une social-démocratie qui revendiquait à ses origines, on l'oublie souvent, une conception marxiste de la société avant de sombrer dans le « réformisme ». Son effondrement récent, en France, laisse un créneau politique disponible et donc la place pour un projet réformiste opposé, selon la vulgate marxiste, à ce qui serait un projet révolutionnaire. Le mélenchonisme peut-il occuper ce créneau ? La question mérite d'être posée d'autant que J-L Mélenchon ne se réclame nullement du marxisme et liquide, non sans dédain, la « classe ouvrière révolutionnaire » dont se réclame la « vieille gauche » (L'ère du peuple, Pluriel, 2017, p.86). C'est ici toute une conception du « peuple » fondée à la fois sur un républicanisme à l'ancienne et sur un « populisme de gauche » à la mode qu'il nous faudra discuter.

     Dans un premier temps cependant, je voudrais souscrire à un propos de J-L Mélenchon qui, bien que mal assuré théoriquement, montre qu'il vaut peut-être mieux que le mélenchonisme. A Macron qui, avec son arrogance coutumière, proclamait que « la démocratie ce n'est pas dans la rue », J-L Mélenchon a répondu que Macron ferait bien de relire l'histoire de France et que « c'est la rue qui a chassé les rois et abattu les nazis ». La bien-pensance médiatique l'a bien entendu accablé de sarcasmes jusque dans l'Humanité où le chroniqueur François Taillandier objecte doctement que « Louis XVI n'a pas été détrôné par la rue mais par la dynamique des Etats-Généraux »... Mais qu'auraient été les Etats-Généraux sans la révolte populaire le 14 juillet 1789, la prise de la Bastille et, par la suite, la constante pression de la rue ? (voir Albert Soboul et son Précis d'histoire de la Révolution française que l'on recommandera à François Taillandier faute de l'infliger à Macron). J-L Mélenchon a ici parfaitement raison. Il reprend le concept marxiste que l'on peut résumer sommairement par la formule : « ce sont les masses qui font l'histoire ». Autrement dit, la mobilisation des masses populaires, les révoltes, les rébellions ont jalonné et façonné l'histoire de ce pays bien plus que les tribulations des têtes couronnées de l'histoire en escarpins à la Stéphane Bern.

      Lorsque Mélenchon dit « la rue », il utilise une figure de rhétorique que l'on appelle une métonymie : désigner le tout par une de ses parties. La manifestation de rue est une des formes de la mise en mouvement des masses. Il y en a d'autres : la grève bien sûr mais aussi l'insurrection incluse dans la Déclaration des droits de l'homme comme « le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » quand « le gouvernement viole les droits du peuple ». Et l'insurrection parisienne d' août 1944, n'en déplaise à certains, a bien été déterminante dans la libération de Paris...

 

NIR 194. 27 novembre 2017