Misère de la social-démocratie I

On a souvent cité ces mots d'Eduard Bernstein, figure de la social-démocratie allemande au XIXème siècle et un des premiers révisionnistes du marxisme : « Quand la bourgeoisie m'applaudit, je me demande quelle bêtise j'ai faite ». C'était au moins honorable. Nos modernes éminences social-démocrates n'en sont même plus là et, au contraire, ne cachent pas leur ravissement lorsque la bourgeoisie les félicite. Il n'y a là nul complot, ni même de la duplicité de la part des dirigeants socialistes mais des raisons essentiellement sociologiques. En fait, hiérarques socialistes, banquiers, grands patrons et leurs économistes à gages appartiennent au même monde et ont le même système de valeurs. Il n'est que de voir comment Hollande puise chez ses congénères de l'ENA pour constituer l'appareil d'Etat. Plus profondément, les Moscovici, Cahuzac, Fabius et même Hollande, etc. n'ont jamais connu autre chose que le mode de vie grand bourgeois et ont ainsi constitué un ensemble de dispositions à percevoir, penser et agir propres à ce milieu. C'est ce qu'on appelle unhabitus comme chacun de nous en construit un, sans nous en rendre compte, à travers nos divers apprentissages sociaux. Il n'y a là aucune mise en cause personnelle, mais l'habitus de ces « élites » les rend complètement étrangères aux aspirations populaires que le plus souvent, en toute bonne foi, elles ne comprennent pas. Le même état d'esprit les rend par contre extrêmement sensibles aux compliments de leurs semblables. En campagne électorale, les tirades sur le peuple et les « plus démunis » ne sont jamais que purement rhétoriques, c'est pour cela qu'elles sont si facilement oubliées. Mieux, les classe populaires deviennent si encombrantes que le PS n'hésite plus à envisager leur abandon dès qu'elles s'avèreront électoralement peu rentables. J'y reviendrai.

On se rappelle les proclamations martiales du candidat Hollande : « Mon ennemi, c'est la finance ». On allait voir ce qu'on allait voir ! En particulier une séparation aussi drastique que vertueuse entre les activités spéculatives et les activités de dépôt des banques. Hélas notre vaillant guerrier n'avait qu'un sabre de bois et un pistolet à bouchon (Frédéric Lordon). Aujourd'hui « sur 8000 milliards de total de bilan bancaire français, seuls 10% servent au financement des entreprises. Et 12% au financement des ménages » (Gaël Giraud, chercheur au CNRS, Ecole d'économie de Paris, les Echos, 13.02.2013). Quid des 78% restant ? Le projet de loi socialiste filialise en fonds spéculatifs moins de 2% des activités bancaires ! Les banquiers en rient encore. Tel ce M. Oudéa, patron de la Société Générale qui plastronnait lors de son audition en Commission des finances en affirmant que la loi concernerait moins de 1% des revenus de sa banque (les Echos, 13.02.2013). Le modèle de banque universelle que le projet de loi socialiste laisse intact est « celui d'une banque mixte qui détourne les dépôts des Français pour financer en priorité, et avec la garantie de l'Etat, des activités de marché » (Gaël Giraud, le Monde, 14.02.2013). Même les hedge funds, le type même des fonds spéculatifs, consistant en opérations scabreuses se jouant des règlementations, sont épargnés. Moscovici fait semblant de croire que toute opération financière est une « contribution au financement de l'économie » et ainsi « les dépôts des Français continueront d'être au service de la finance de l'ombre (Shadow banking system) et des paradis fiscaux » (Gaël Giraud, art. cité).

Tout cela aux applaudissements de la droite et des banquiers. Frédéric Lordon (blog.mondediplo.net) cite ces propos de Karine Berger, rapporteure du projet de loi, après les auditions de MM. Chifflet, président de la Fédération bancaire française, Oudéa, déjà cité et Bonnafé, directeur-général de BNP-Paribas : « vos trois exposés laissent paraître que vous n'êtes pas réellement gênés par ce projet de loi ; j'en suis à la fois étonnée et ravie ». On peine à croire à l'innocence de Mme Berger dont on ne sait pas assez qu'elle vient à peine de mettre entre parenthéses sa carrière de directrice des stratégies marketing dans une modeste boîte privée, l'assureur international Euler-Hermès (voir ma chronique du 01.03.2012). A l'Assemblée, ce fut grandiose : Carrez (UMP) a jugé le texte « plutôt équilibré » ; Lellouche (UMP), « très bien, madame, votre diagnostic est juste » ; Chartier (UMP), « votre rapport ne suscite que des compliments ». Pendant ce temps, Mme Berger rabrouait le communiste André Chassaigne... Logique !

4 mars 2013