Misère de la social-démocratie II
Nous sommes avec Hollande dans le troisième temps d'une lente et pitoyable dérive, en trente ans et trois étapes, de social-démocratie en social-libéralisme, chaque étape correspondant à un passage au pouvoir des dirigeants socialistes. Le moment inaugural c'est 1982-1983 quand les élites social-démocrates se convertissent, en évitant de le crier sur les toits, à l'ultra-libéralisme anglo- saxon qu'elles viennent de découvrir. Le rédacteur en chef des Echos, Daniel Fortin, rappelle cette époque avec émotion sous le titre : « Quand la gauche aimait les patrons » (26/27.10.2012) : « La première présidence de François Mitterrand est restée dans l'histoire comme une stupéfiante réhabilitation de l'entreprise aux yeux de l'opinion (...). La défiance des dirigeants socialistes à l'égard des patrons semblait définitivement rangée au magasin des vieilleries idéologiques (...). On serait sidéré de constater à quel point la gauche se montre alors aux petits soins pour les entrepreneurs (...). Pierre Beregovoy, ministre de l'économie, paracheva l'aggiornamento socialiste vis à vis du capitalisme en libérant les marchés financiers et en dérèglementant la Bourse ». Ces choses-là sont connues mais qu'un idéologue patronal les atteste aussi crûment, en cette période, vaut sans doute rappel et avertissement pour Hollande. Comme s'il en était besoin !
Le maître d'oeuvre de ce premier reniement fut évidemment Mitterrand. On oublie toujours que celui-ci, au-delà des envolées rhétoriques et électoralistes, n'était qu'un grand bourgeois opportuniste « entouré d'amis patrons très proches comme Jean Riboud (Schlumberger) ou François Dalle (l'Oréal) » (Daniel Fortin, art. cité). Toujours le même monde où l'habitus dominant ne prédispose guère à une réelle empathie pour les attentes des classes populaires. Cependant, maître dans l'art de toutes sortes de simulations et de dissimulations, Mitterrand réussit à se faire passer 14 ans durant pour le gardien du temple des valeurs de gauche. Politicien retors, il laissa la prétentieuse « deuxième gauche » rocardo-delorienne se charger de rationaliser, sous couvert de « modernité », le ralliement inconditionnel à une économie de marché présentée comme la seule alternative. Et avec, déjà, la complaisance de la CFDT, celle d'Edmond Maire. Sur le plan gouvernemental, il laissa Mauroy et surtout Beregovoy -tout étonné de se retrouver dans ce monde et qui ne s'en remit jamais- faire le sale boulot.
Un second moment de l'abdication socialiste devant le capital est le gouvernement Jospin (1997- 2002). On le sait, celui-ci orchestra plus de privatisations et d'ouvertures de capital d'entreprises publiques que la droite, avec comme ministre de l'économie et des finances un certain Strauss-Kahn et au secrétariat du Parti Socialiste un certain Hollande, plus que Chirac, Balladur et Juppé réunis : Crédit Lyonnais, GAN , Thomson CSF et Multimédia, l'Aérospatiale, EADS, Autoroutes du Sud de la France, etc., ouverture du capital de France Telecom et aussi d'Air France avalisée par un communiste ministre des transports qui n'était pas, hélas, un ministre des transports communiste. Il est vrai qu'alors le PCF avait pour secrétaire général un personnage qui depuis est passé avec ses maigres armes et bagages au Parti Socialiste... Sans que cela du reste émeuve grand monde !En 1999, c'est une vague de licenciements chez Michelin... Jospin suggère aux syndicats de se mobiliser. Comme s'ils l'avaient attendu ! Quant à lui, il renvendique la non-intervention, c'est la fameux : « L'Etat ne peut pas tout ». La même résignation que Mitterrand affirmant : « contre le chômage on a tout essayé ». Le comble, c'est, au moment de l'élection présidentielle, son extravagant « mon programme n'est pas socialiste », voulu comme d'une suprême habileté. Et il s'étonna d'avoir été battu. Avec Jospin, en fait, la soumission aux dogmes du marché devint principe de gouvernement.
Les libéraux sérieux ont vite compris qu'ils n'avaient rien à craindre de Hollande. Dès le 14.11.2012, Guillaume Tabard triomphe dans les Echos : « Hollande a clairement assumé la stratégie de l'offre plutôt que celle de la demande (...). Il refuse de voir dans les allègements de charges un cadeau aux entreprises (...). Il a pleinement accepté la logique libérale de l'offre ». Dominique Seux, le même jour, n'a plus qu'à conclure : « Si les paroles ont un sens, le cap n'a plus rien à voir avec ce qui a été promis le 6 mars ». C'est le troisième reniement...
17 mars 2013