Le sabordage de la social-démocratie

Écrit par Gérard LS le . Publié dans Social-Démocratie

Jusqu'où les dirigeants de la social-démocratie repousseront-ils les limites de la trahison et du reniement ? Selon mon hypothèse : jusqu'au sabordage. Ce n'est même plus du social-libéralisme mais du libéralisme tout court où le sauveur suprême sous le nom d' « entreprise » est le patronat... Le Front de Gauche parle avec raison de « ligne suicidaire »... Tout cela fait penser à la fable bien connue de la grenouille et du scorpion. Celui-ci veut franchir la rivière (électorale), il a besoin d'aide, il demande donc à la grenouille de le porter sur son dos. Celle-ci se méfie, elle demande des garanties, le scorpion promet tout ce qu'on veut. Arrivé au milieu de la rivière, il pique la grenouille, celle-ci, éplorée, demande en se noyant : « mais pourquoi ? » Le scorpion (socialiste), en coulant lui-même, entraînant toute la gauche dans son naufrage, avoue : « c'est dans ma nature » !

Ce naufrage est, en fait, programmé et les valeurs de gauche sont sciemment piétinées, en particulier, en tête de gondole, par un Valls en grotesque défroque de petit Bonaparte : « la gauche peut mourir », assure-t-il... Etrange assertion qui semble bien marquer un souhait plutôt qu'un regret. Je relevais déjà, dans une chronique du 25 juin 2009, le sarkozysme sans Sarkozy de M. Valls qui, par exemple, affirmait que «le mot socialisme (était) sans doute dépassé, il renvoie à des conceptions du XIXème siècle», tout en se proposant comme candidat à la candidature présidentielle... Tant qu'on n'a pas trouvé meilleur que lui, précisait-il modestement... L'ambition reste la même et nécessite l'enterrement du socialisme... Le projet est transparent : bâtir un grand parti démocrate attrape-tout, sans programme ni principe, à l'italienne, comme celui de Renzi. Il lui faut un chef, sourcils froncés, regard noir, lever de menton mussolinien, ce sera, bien sûr, l'indispensable M. Valls !

Bien entendu, la disposition latente à la trahison du peuple dans la social-démocratie ne doit rien à la « nature » et tout à la position des agents qui la constituent dans une société de classes. Pris en flagrant délit de racisme de classe, Hollande proteste soudain de son amour des « pauvres »... Il serait « au service des petites gens, des gens de peu... » (Nouvel Observateur, 11.09.2014). Ceux-ci ne s 'en sont pas trop aperçus... Mais les expressions sont révélatrices, « petites gens », « gens de peu », autant de dénominations au mieux condescendantes, en réalité ruisselantes de populisme compassionnel et de mépris larvé... Bienheureux les gens de peu qui savent se contenter de peu... Célébrons, de loin, les « plaisirs simples » de ces « êtres simples », comme s'émouvait un supposé sociologue dans un ouvrage de 1991 (voir Chronique des idées reçues. Combattre la domination, 2010, p. 297). Saluons ces « gens modestes » qui savent rester à leur place, le président veille sur eux. Au XIXème siècle, on disait “les humbles”... Rien n'a changé...

Hollande dit « venir de ce monde-là ». C'est inexact. Il met en avant un grand-père tailleur et un autre instituteur. Son père était médecin, ce qui est honorable mais ne range certainement pas dans la catégorie des « petites gens ». La famille résidait à Bois-Guillaume, la banlieue la plus huppée de Rouen où les « gens de peu » se font rares. Hollande est en fait un pur produit de l'arrivisme des classes moyennes. Classes intermédiaires, celles-ci se tiennent à distance des classes populaires et ont avec la grande bourgeoisie des relations complexes d'admiration et de ressentiment. Tout à leurs spéculations d' « ascension sociale » et d'accès au mode de vie bourgeois, elles ont toujours fourni aux puissants le personnel d'encadrement nécessaire à l'exercice de la domination, comme aujourd'hui tous ces diplômés des écoles de commerce, de gestion, de communication, d'administration formatés comme autant de lézards de couloirs ministériels et patronaux (en attendant mieux : la carrière de Hollande est à cet égard exemplaire). C'est tout un petit monde qui peuple les allées du pouvoir politique, économique, médiatique et constitue une caste politico- financière isolée dans l'entre-soi d'une bulle de connivences où les délices du confort matériel et l'ivresse du pouvoir lui font se croire tout permis ( voir la dernière chronique sur les classes moyennes d'Alain Accardo dans la Décroissance, n°112, septembre 2014, disponible sur le site www.terrainsdeluttes.org).

15 septembre 2014