Pourquoi ce déni d'un fascisme français
Encore un mot sur cette bienheureuse spécificité qui aurait évité le fascisme à la France dans les années 30 . En fait, il y eut bien alors des organisations fascistes en France et même un mouvement de masse, les Croix de Feu, revendiquant 2 millions d'adhérents en 1937 lors de sa transformation en Parti social français, appelant ouvertement à la destruction de l'ordre social existant... Mais René Rémond n'y voit guère que du « scoutisme politique pour grandes personnes » (cité par Z. Sternhell, p.127). Leur chef, de la Roque, n'était, paraît-il, qu'un innocent conservateur chrétien autoritaire pour qui, quand même, « le culte de la raison fait perdre la notion du raisonnable (...). La glorification de l'égalité conduit à la jalousie puis à la haine des classes » (cité par Z. Sternhell, p.129). Sa courte déportation -dont il revint- servit de prétexte à la droite, gaullistes compris, pour l'absoudre. Bref, un fascisme « imaginaire » ose Jacques Julliard...
Parfait exemple de la mise en œuvre de tout un travail de refoulement d'un fascisme bien français qu'illustrèrent encore le PPF de Doriot ou les Chemises vertes de Dorgères et surtout refoulement de l'ignominie d'un pétainisme qui, avec le régime dit de l'Etat français, reprit l'essentiel des caractéristiques du fascisme : suppression des libertés publiques, proscription de l'humanisme, de l'universalisme, du matérialisme, culte du chef et concentration entre ses mains de la puissance de l'Etat, répudiation de la démocratie, chasse aux Juifs et aux communistes... Le fascisme français n'était pas identique au fascisme italien pas plus que celui-ci n'était le décalque du nazisme mais les fondements en sont les mêmes et, en particulier, Zeev Sternhell signale cette «caractéristique essentielle», «l'acceptation du capitalisme comme fondement naturel de la société » (p.161).
Je vais y revenir, mais signalons encore la frilosité de l'historiographie française sur le sujet. Dans les années 50, c'est L'Histoire de Vichy de Robert Aron qui faisait autorité avec sa fiction d'un Pétain « bouclier » de la Nation face aux Allemands, De Gaulle complétant l'imagerie dans le rôle du « glaive »... La thèse est tout de même aujourd'hui discréditée mais, ainsi que l'observe Z. Sternhell, en 1972 encore, un ouvrage collectif issu d'un colloque organisé, introduit et conclut par René Rémond « ne contient pas un mot sur la persécution des Juifs, les lois raciales, le rôle des autorités françaises dans la déportation des Juifs étrangers » (note 122, p.891). Il faudra que ce soit un historien américain Robert O. Paxton qui établisse la vérité sur Vichy en 1973, soulevant l'émoi dans une historiographie française bien timorée sur le sujet... Même s'il y a des combats d'arrière- garde comme quand un Zemmour crédite Pétain d'avoir « sauvé » les Juifs français en sacrifiant les Juifs étrangers. Cette seule intention aurait déjà été ignoble, mais en plus c'est faux. Comme l'a précisé immédiatement Paxton, les lois de 1940 et 1942 ne font aucune distinction entre Juifs français et Juifs étrangers.
La participation du régime de Vichy à la « solution finale » hitlérienne n'est plus guère contestée. Par contre un large pan de la Collaboration continue de faire l'objet d'une véritable censure : la trahison des élites économiques et administratives lesquelles, à d'honorables exceptions près, se sont mises immédiatement au service de Vichy et sont entrées sans coup férir dans la Collaboration. Olivier Baruch l'a démontré pour une administration dont Papon reste l'archétype (Servir l'Etat français. L'administration en France de 1940 à 1944, Fayard, 1997). Ce travail reste isolé mais a été reconnu. Mais s'il est une histoire qui passe toujours mal, c'est celle de la Collaboration économique avec le Reich où industriels et banquiers français se bousculèrent pour profiter d'un désastre que certains d'entre eux avaient préparé. La référence sur cette histoire est, bien entendu, Annie Lacroix-Riz. Celle-ci par son travail inlassable de mise à jour d'archives terribles et indiscutables dérange... Et le mot esr faible ! Elle est donc violemment ostracisée par ceux que l'historien américain Robert Soucy appelle les « historiens du consensus » niant la puissance du mouvement fasciste en France dans les années 30. Notons seulement ici la richesse du site Internet d'Annie Lacroix-Riz, on y trouve, par exemple, ce document accablant : la commande à Louis Renault par l'Heerwaffenamt de chars et de chenilles montées pour 8 574 000 francs !
6 mars 2016