Gaza, in memoriam

Au moment où s’écrit ce texte, le martyre de Gaza s’estompe peu à peu dans les limbes médiatiques, noyé dans les flots de guimauve suscités par le sacre de Barak Obama. C’est le lot du barnum des médias, un évènement chasse l’autre et tout se vaut. C’est aussi l’inconvénient des réactions fondées sur un trop-plein d’émotion: celle-ci a tendance à s’apaiser et disparaître lorsque son objet est de moins en moins visible.

Et pourtant la tache sanglante s’agrandit qui souillera pour longtemps, j’en ai peur, la mémoire d’Israël. Comment taire ici la déchirure de qui, révulsé depuis toujours par toute forme d’antisémitisme, se trouve confronté au massacre inexpiable perpétré par une armée qui revendique sa judéité! Qui dira les soubresauts de l’histoire où les éternelles victimes se muent en bourreaux impitoyables se trompant sciemment de cible et faisant régler, de fait, par les Palestiniens les comptes de l’horreur indicible de la Shoah! France2 a opportunément programmé La Liste de Schindler en pleine opération sur Gaza...

Sous le prétexte papelard d’éradiquer un « parti islamique » dont il a auparavant commandité la prise de pouvoir, Israël peut laisser libre cours à sa « juste fureur ». Il ne s’agit pas d’apprentis sorciers recevant en retour leur machiavélisme en pleine figure. Il y avait bien le dessein de fabriquer un ennemi sur mesure dont l’image fanatique et terroriste assurerait encore mieux le bon droit d’Israël. Ainsi que le note Ilan Papé, historien israélien antisioniste, « nettoyage ethnique, occupation, massacre, destruction, ont toujours été décrits comme moralement justes et comme un pur acte de légitime défense » par les dirigeants israéliens. Il leur faut pouvoir décimer les Palestiniens en toute impunité avec en plus le droit et la morale pour eux! L’indécence va jusqu’à mettre en avant un souci humanitaire. Joël Mergui, président du Consistoire central de France raconte, sans ricaner, que « la faiblesse des Israéliens consiste à privilégier la valeur de la vie humaine à l’efficacité militaire ». Ce qui revient, comme le dénonce Gédéon Lévy dans Haaretz, à « tuer et détruire sans distinction et également en sortir la tête haute, avec une conscience propre ».

En fait l’armée israélienne, qu’il est très chic d ‘appeler Tsahal en gage d’affectueuse familiarité, n’est, comme tous les envahisseurs et les occupants, qu’une horde de tueurs légaux... Comme l’armée américaine en Irak... Comme l’armée russe en Tchétchénie. Il leur faut légitimer le massacre de masse, la destruction d’hôpitaux et d’écoles, l’assassinat d’enfants puisque -un certain Christophe Barbier, du Point, a osé cette ignominie- « même un civil endormi est un ennemi »! Et il y a cette méprisable argutie de propagande sur les « boucliers humains » dont userait le Hamas. Comme si l’on pouvait faire semblant d’ignorer qu’une résistance populaire se fond, par définition, dans la population, « comme un poisson dans l’eau » aurait dit M. André Glucksman du temps où, maoïste enragé, il s’autoproclamait théoricien de la guerre du peuple avant de se reconvertir opportunément quelque temps après en défenseur tout aussi véhément des valeurs occidentales. C’est le même qui nous explique doctement combien est normale, comme dans tout conflit armé, la disproportion des forces entre Israël et le Hamas... Comme s’il s’agissait d’un affrontement entre deux armées... Comme s’il y avait quelque gloire pour l’armée israélienne à écraser sous le déluge de fer et de feu de ses chars, avions, hélicoptères de combat quelques milliers de va-nu-pieds munis de kalachnikovs et de roquettes artisanales. Tous ses objectifs ont été atteints, proclame-t-elle tandis que l’on apprend que le Hamas reprend tranquillement le contrôle de Gaza. Quelle dramatique dérision! La finalité de ce combat, n’est-ce pas Eli Yishai, vice-premier ministre et président du parti religieux Shass qui ose la dire: « il n’y a qu’à raser Gaza, comme ça ils ne viendront plus nous emmerder » (le Monde, 15.01.2009)

Notre joie confiante à la naissance d’Israël n’était donc qu’angélisme et notre chaude sympathie pour les kibboutzim que naïveté! Jusqu’à nous aveugler sur le tragique exode du peuple palestinien, chassé par le terrorisme de l’Irgoun et les brutalités de la Haganah sous le regard des Britanniques ravis de compter les points... Jusqu’à nous faire gober le slogan mensonger d’une terre sans peuple pour un peuple sans terre... Jusqu’à nous faire partager le lâche soulagement des puissances occidentales satisfaites de se débarrasser à peu de frais du problème juif qui était le leur sur le dos des Arabes et ainsi de se refaire une bonne conscience et une virginité philosémite douteuse. Faut-il rappeler que c’est l’Occident, et plus particulièrement l’Occident chrétien avec le dogme -répudié depuis peu, mais le mal était fait- du peuple juif déicide, qui a inventé l’essentiel de l’antisémitisme? Sait-on que d’honorables historiens soutiennent aujourd’hui la thèse selon laquelle le « châtiment » des Juifs durant la seconde guerre mondiale était plus ou moins mérité, en tout cas logique, en raison de leur engagement important dans les mouvements révolutionnaires de l’entre- deux-guerres? Sans changer de camp, les mêmes approuvent les exactions israéliennes contre les Palestiniens, les massacres à Gaza après un blocus qui en faisait une prison à ciel ouvert, l’extension permanente de la colonisation en Cisjordanie où l’on continue de repousser des Arabes méprisés sous les hourras des grandes consciences béhachèliennes. Avec, entre autres, des procédés éprouvés comme la destruction des oliveraies en coupant des oliviers centenaires. Saint-Arnaud, en 1850, en était le spécialiste pendant la colonisation française de l’Algérie...

Gérard LOUSTALET-SENS Editorial pour Espaces Marx Aquitaine, 26 janvier 2009