Nostalgiques de l’Empire
Editorialiste au journal Sud-Ouest, M. Bruno Dive ne peut pas se montrer moins zélé que ses collègues dans la défense de l’ordre colonial. Le 20 juin dernier, il se payait le luxe de rendre hommage aux 188 tirailleurs sénégalais et six « Nord-Africains » massacrés par la Whermacht le 20 juin 1940 dans le Rhône. Mais chassez le naturel, il revient au galop : selon M. Dive, ces tirailleurs, c’étaient des « soldats de nos colonies » ! NOS colonies ! Ce possessif est un détail bien révélateur de la profonde nostalgie de l’Empire colonial, toujours à célébrer, voire à glorifier pour MM. Dive, Lucet, Harté… Les trois éditorialistes nous gratifient exactement du même couplet… Conformisme ? Suivisme ? Bonjour la diversité d’opinion… M. Dive aime pour sa part régulièrement fustiger les luttes antiracistes et anticolonialistes qui, paraît-il, « veulent imposer une lecture « racialiste » (pour ne pas dire raciste, d’après M. Dive) ou « indigéniste » de l’histoire ». « Racialisme », « indigénisme », je ne suis pas sûr que M. Dive sache exactement de quoi il s’agit au-delà de la lecture du Figaro, du Point et de Valeurs actuelles mais il y a bien là de quoi faire frémir dans les chaumières… Pensez-donc, ils vont même jusqu’à « oser s’en prendre outre-Manche aux statues de Churchill ». Les barbares !
Ainsi M. Dive se donne bonne conscience en évoquant les tirailleurs sénégalais tués par les Allemands. Mais il se garde bien de mentionner que 4 ans plus tard d’autres tirailleurs sénégalais seront assassinés par des militaires français au camp de Thiaroye au Sénégal. Il fallait « blanchir » l’armée française et renvoyer les tirailleurs au Sénégal. Ceux-ci réclament le paiement de leurs arriérés de solde. On les fait attendre, on ergote, on finit par les regrouper à Thiaroye. Ils revendiquent, manifestent, molestent plus ou moins un général… Le 1er décembre 1944, l’armée française mitraille et bombarde le camp : officiellement 35 morts, en réalité au moins autant que ceux exécutés par les nazis en 1940. Une page glorieuse de la République dont M. Dive ne se vante pas. Il faut être « indigéniste » pour le rappeler.
On pourrait multiplier les exemples. On oublie ainsi souvent les martyres successifs subi par Madagascar. L’initiateur en est Galliéni, une de ces ganaches (le mot est dans Balzac) meurtrières révérée par les adorateurs de l’(ex) Empire colonial. Antananarivo est prise en 1896, la reine Ranavalona III est chassée, la « pacification », on sait ce que c’est, est particulièrement brutale… C’est que, disait le Petit Journal du 9 décembre 1894, « notre dignité nous défend de supporter les insultes des sauvages de là-bas. Que dirait-on de la France si sa main ferme ne lui servait à venger de pareilles injures ». « Sans esprit de conquête ni désir de lucre », précise le journal. Ben voyons. On dirait du Bruno Dive… Galliéni réprimera en 1896 l’insurrection des Menalamba, s’ensuivent 15 ans de révoltes sporadiques et les meurtres de dizaines de milliers de Malgaches. « Administrateur », Galliéni va remplacer l’esclavage par le travail forcé, une sorte de servage bien plus rentable. Que voulez-vous, comme l’assurait un certain Antonio d’Almada Negreiros, membre de la Société géographique de Paris, « il faut consolider la grande œuvre d’abolition de l’esclavage en faisant aimer au nègre le travail qu’il déteste et qui cependant nous est indispensable » (www.theconservation.com). La férocité de l’exploitation est telle que, en 1900, même des colons, dans une lettre à Galliéni, s’alarment de « la mortalité effrayante qui frappe les prestataires (sic) employés à la construction des routes de Tananarive-Tamatave et Tananarive-Majunga (…). La population sera tellement réduite que les colons ne pourront plus rien entreprendre » (www.dormirajamais.org).
Le travail forcé perdurera dans l’Empire colonial jusqu’au début des années 50 malgré son abolition par la loi Houphouët-Boigny de 1946. Quant à Madagascar, en 1947, à la suite d’une attaque d’insurgés contre le camp de Moramanga, le 5 mai 166 otages enfermés dans 3 wagons sont mitraillés par les forces coloniales, les survivants exécutés un par un. Deux années d’une répression sanguinaire vont suivre : 80000 à 100000 victimes, tuées ou mortes de faim ou de maladie. Instruments des tueries : la Légion étrangère et les tirailleurs marocains et… sénégalais ! Est-ce que rappeler tout cela c’est imposer une « lecture racialiste » de l’histoire ?
NIR 250. 2 juillet 2020