Le modèle libéral, c'est la cupidité
Le seul objectif du capitaliste, c'est, on le sait, l'accumulation monétaire. Autrement dit, dans ce qu'on appelle l'économie de marché, l'unique ambition de tout individu est l'enrichissement personnel, finalité de l'existence et horizon indépassable. On mesure mal l'étroitesse d'esprit que suppose cette quête obsédante de l'acquisition et de l'accroissement de fortune. M. Macron en fait pourtant l'idéal qui devrait être aujourd'hui celui de tous les jeunes gens bien nés : devenir milliardaire, faisant une règle de vie de ce qu'il faut bien appeler une médiocrité ontologique (M. Macron se fait en effet complaisamment désigner comme philosophe sous prétexte qu'il a été employé quelque temps à ranger les papiers du (vrai) philosophe Paul Ricoeur!) : une médiocrité de l'être faisant de l'accaparement de richesses le fondement de toute vie sociale et personnelle. On s'étonnera que le « philosophe » Macron ne songe pas à un idéal autrement plus noble que celui qu'offre le business : devenir un grand écrivain, un grand artiste, un grand savant...
Mais non, ne comptent plus, comme le dit Max Weber (1864-1920) dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, que l'argent « considéré comme une fin en soi » et le gain « devenu la fin que l'homme se propose ». Encore faut-il ici nuancer : pour Max Weber, l'éthique protestante fait que la satisfaction des besoins matériels devient secondaire chez l'accapareur dans l'accroissement irrationnel de richesses. Dans nos pays de tradition catholique, il n'en va pas de même. En principe décrié dans l'Evangile, l'argent est en fait l'objet de toutes les attentions d'une grande bourgeoisie volontiers légitimiste en matière de religion mais bien décidée à jouir de toutes les gratifications qu'offre l'esprit de lucre. Chez le sujet psychologique ainsi déterminé, un affect majeur sera la cupidité comme recherche insatiable et rétention obstinée des biens de ce monde. Certes, pour la morale commune, la cupidité, besoin inassouvissable de s'enrichir et de posséder, est jugée négativement. L'idéologie libérale l'a donc transfigurée en parlant de « désir d'entreprendre », de « goût du risque », d' « esprit d'initiative » et autres lieux communs confondants d'hypocrisie.
Le cas emblématique dans l'actualité du moment est évidemment celui de M. Fillon dont l'addiction à l'argent, propre à sa classe, se réalise dans des actes d'une stupéfiante rapacité. On n'en refera pas l'énumération que tout le monde connait, concussion présumée, affairisme et jusqu'aux sentiments familiaux noyés dans les eaux glacées du calcul égoïste, selon la formule célèbre de Marx : on a ainsi vu l'Harpagon de la Sarthe se faire rétrocéder par ses enfants l'argent public qu'il avait réussi à leur faire octroyer. Ce n'est peut-être qu'un détail mais qui marque un état d'esprit. Il est significatif que l'obsession des candidats de droite à l'élection présidentielle et la première mesure qu'ils pensent à prendre est la suppression de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) dont le rendement fiscal n'est pourtant certainement pas à la hauteur du caractère symbolique : il concerne 340 000 personnes, soit 1,7% des contribuables et rapporte 5 milliards quand la fraude fiscale coûte 60 à 80 milliards à l'Etat, une fraude fiscale qui est un autre accablant témoignage de l'égoïsme monstrueux qui préside à l'amoncellement de richesses par une infime fraction de la population.
On peut en multiplier les exemples : « greed is good », disent les Américains... Cupidité, avidité, convoitise, appât du gain gouvernent le monde dans le modèle libéral que les possédants veulent définitivement inculquer dans les esprits dès l'école. Ils appellent ça « dynamiser l'envie d'entreprendre », « enseigner à chaque élève, étudiant, apprenti la démarche entrepreneuriale », « poursuivre le formidable élan entrepreneurial » (l'Humanité, 01.02.2017). Ou : comment exploiter efficacement son prochain. Très prosaïquement, cela fait 47 milliards de dollars distribués aux actionnaires en 2015 en France, le pays le plus « généreux » d'Europe à cet égard. Il paraît que ce sont des gens qui « prennent des risques ». Nos héros du « risque » s 'appellent entre autres : Dassault, 40 milliards mis à l'abri aux Iles Vierges et au Lichtenstein; Goshn qui a empoché 15 millions et des broutilles en 2016 et qui réclame que sa rémunération augmente : « il serait quand même surprenant, ose-t-il, que si les résultats sont record, la rémunération du patron de l'entreprise diminue ». Etrangement, il n'a pas évoqué la rémunération de « ses » salariés...
NIR 181. 10 avril 2017