Solidarité ou culture managériale ?
Comme, je suppose, l'ensemble des sociétaires de la MAIF (Mutuelle Assurances des Instituteurs de France), j'ai reçu un courrier de M. Dominique Mahé, président de la MAIF, daté du 28 septembre 2017, me sollicitant pour un don à Solidarité laïque, honorable association humanitaire attentive, en particulier, aux problèmes d'éducation dans le monde et à laquelle la MAIF est partie prenante. Le jour où j'ai reçu cette missive, je lisais les propos pour le moins surprenants tenus par M. Pascal Demurger, directeur général de la MAIF, dans un entretien au journal le Monde (06.10.2017). M. Demurger s'y livre ès qualités à une apologie sans nuances des « ordonnances Macron » (c'est ainsi que parle M. Demurger) dont la caractéristique, chacun en convient, vise bien à un démantèlement du code du travail dans le sens, pour le dire délicatement, d'une moindre protection des salariés. En ces temps de régression sociale accélérée, je m'attends au pire mais comment ne pas être atterré que la mise en cause d'acquis sociaux résultats de décennies de luttes syndicales et politiques soit ainsi cautionnée par la direction de la MAIF! Les « enseignants engagés » fondateurs de la MAIF dont se réclame le président Mahé doivent se retourner dans leur tombe...
M.Demurger tient à illustrer son humanisme entrepreneurial. Il ne serait pas « choqué », dit-il, de voir supprimé « d'un commun accord » le treizième mois dans une entreprise « en difficulté » : c'est un parfait exemple du chantage patronal à l'emploi que permettent les ordonnances et c'est ce que M. Demurger appelle le « pari de l'intelligence et de la confiance ». Curieusement, il n'envisage pas un instant la disposition inverse ! Et l'on apprend que la MAIF a « anticipé les réformes »... M. Demurger est assurément un bon exécutant des prescriptions macroniennes. Le problème est que la MAIF n'ayant pas d'actionnaires, elle appartient à ses sociétaires et en tant que sociétaire, M. Demurger parle aussi en mon nom : ce qui est ici intolérable ! M. Demurger est de cette caste de hauts dirigeants d'entreprise dont la culture managériale est, à l'évidence, aux antipodes des valeurs de solidarité qui doivent être, en principe, y compris dans son fonctionnement interne, celles de la MAIF. Ces « valeurs mutualistes fondatrices » que revendique le président Mahé dans sa lettre ne peuvent avoir rien de commun avec la rhétorique patronale (« agilité », « fluidité »...) qu'affecte d'utiliser M. Demurger. Elles résonnent même dans ce contexte comme une imposture.
Il faut savoir que les véritables maîtres de nos sociétés -oligarques ou ploutocrates- sont rarement en pleine lumière. Ils préfèrent s'en tenir aux discrets conciliabules et aux coûteuses mondanités de l'entre soi. Ils ont, pour faire le boulot politique, économique voire culturel, tout un personnel zélé et grassement rémunéré, des serviteurs comme les autres et comme M. Demurger, un peu au-dessus de la soubrette et du valet de chambre. Ils ont même fait élire l'un d'eux -un « mercenaire de la finance » selon l'expression d'Emmanuel Todd- à la présidence de la République et M. Demurger a bien reconnu l'un des siens. D'autres sont des idéologues travestis en experts. Par exemple M. Philippe Aghion a comme couverture une apparence d'économiste qui en fait un grand ordonnateur de la contre-réforme libérale. Le 21 septembre, sur France Inter, Frédéric Lordon l'a relevé sur son blog du Diplo (3 octobre 2017), M. Aghion s'est avéré incapable de citer une seule étude - « académique », comme ils aiment dire- démontrant un lien entre la facilité à licencier et la facilité à embaucher... « Je pense qu'il y a eu des études... je ne peux pas vous dire quelle étude... mais enfin c'est prouvé » a bredouillé notre immense économiste. Comme dit Lordon, « dans n'importe quelle société démocratique décemment constituée, voir engagé si lourdement le sort de tant de personnes par de pareils tocards sur des bases aussi inexistantes serait instantanément objet de scandale. Pas ici ».
J'ai donc finalement écrit au président Mahé que la politique sociale que semble tant apprécier son directeur général allait amputer mon pouvoir d'achat de plusieurs centaines d'euros avec l'augmentation de la CSG sur ma pension de retraite et que, dans ces conditions et au regard des éléments précités, je n'avais ni les moyens ni l'envie de faire un don à Solidarité laïque aussi louables soient ses objectifs.
NIR 191. 15 octobre 2017