Leur morale

L’essor du capitalisme a permis, selon Marx, à un moment donné, le développement des forces productives. Ce temps semble bien révolu. L’économie capitaliste apparaît en effet aujourd’hui de plus en plus parasitaire et je ne parle pas seulement du capitalisme dit financier. On le sait, l’objectif de la production de biens par le capitaliste n’a jamais été le bonheur de l’humanité mais l’enrichissement personnel. Il est donc loisible de produire n’importe quoi pourvu que ça rapporte du fric ou, plus noblement, qu’il y ait un « marché » et donc une « demande ». Sauf qu’une demande ça peut se créer de toutes pièces et que la « réclame » devenu la pub est là pour susciter artificiellement des « besoins ». Petit exemple, cet été Sud-Ouest célébrait « l’esprit d’entreprise » de trois jeunes gens, bien propres sur eux, pour le lancement (local) d’une chansonnette débile, « do you do you do you Cap Ferret » sur le modèle d’un autre immortel chef d’œuvre relatif à St Tropez. Et cela après avoir déjà fabriqué et commercialisé un objet aussi urgent et indispensable qu’un tee shirt « I love Cap Ferret »! L’inutilité absolue de ces choses ne les gêne nullement du moment que ça fait prospérer leur petit capital. Braves petits, ils ont tout compris!

J’ai ainsi retrouvé un vieil article paru, par on ne sait quelle aberration dans l’Humanité (13.08.2002), où le journaliste donnait complaisamment la parole à quelques petits requins frais émoulus de je ne sais quelles écoles de commerce, leur laissant dire, sans prendre la moindre distance, par exemple, que, pour ne pas rester « en cage », il faut absolument « créer sa boîte ». Petite analyse de propos bien significatifs.

1. Vulgate du discours libéral. Il faut « se forger une responsabilité » pour « monter une boîte ». C’est cela qui « sollicite l’individu ». Bien entendu, il faut « oser se jeter à l’eau... ne pas avoir peur de l’avenir... aimer le risque ». Banalités indigentes et hypocrites du discours patronal: bien entendu, la seule situation de risque pour un jeune , ce serait « entreprendre », cela permet la « liberté »: « travailler à mon compte », mais requiert du réalisme: « pas de place pour le rêve » et un cynisme assumé: « pourquoi une telle honte de l’argent ». Sans parler du sentiment exaltant d’appartenir à une élite: « je me lance un défi » (on a échappé de peu au « challenge »!) et « je ne voulais pas d’une vie de vieux à 25 balais ». Dire que ce pauvre garçon n’imagine pas à quel point il est déjà vieux!

2. Valeurs libérales tempérées d’humanisme soixante-huitard. « Bien sûr qu’on parle de fric »... mais il faut nuancer: « l’argent n’a jamais été mon moteur... à aucun moment nous ne parlons d’argent ». Ce que l’on veut, c’est « créer des choses », on peut même faire dans la « logistique humanitaire », tout cela par « envie, passion »... L’important, c’est de « vivre grâce à notre passion ». Bref, l’accomplissement de soi comme horizon de notre temps!

3. Contenu réel de ce discours. -une économie parasitaire: y a-t-il un pressant besoin économique d’une « société spécialisée dans l’organisation d’évènements sportifs » et, plus précisément, de « sports de glisse »? Etre vraiment utiles à leurs contemporains ne semble pas être l’ambition principale de nos apprentis entrepreneurs; -un refus égoïste de la redistribution: bien dressés, les jeunes loups reprennent le couplet patronal sur les funestes « charges » sociales, le « chèque de l’URSSAF », le « bordel administratif » (salauds de fonctionnaires!). Sans compter que « l’Etat met la moitié de ce que tu gagnes dans sa poche »; -une psychologie de bazar: on oppose le stéréotype de pub « mâchoire

carrée sur un corps de surfeur » à son antithèse supposée, le « look deuxième année de psycho »! Il y aurait même un « profil du créateur d’entreprise », car, figurez-vous, ce sont les « grandes tendances de la personnalité » qui font le patron! Si, si! Et, en plus, il faut savoir « gérer l’émotionnel ». La classe!

4. Langue de bois du management. Ce discours comporte un vocabulaire basique réduit à quatre mots: entreprise, initiative, innovation, créativité. Ce qui nous vaut de multiples variations sur « l’esprit d’entreprise », la « culture d’entreprise »... On fait
d’ « initiative » un mot fétiche sans contenu et on nous gave de « potentiel d’initiative... esprit d’initiative... culture de l’initiative...sensibilisation à l’esprit d’initiative... prise d’initiative... » et même d’un « observatoire de l’initiative »! Et ces sornettes sont

« enseignées » comme un véritable système de valeurs... 18 septembre 2008