L'esprit du macronisme (I)

Écrit le . Publié dans Idéologie Libérale

 

 

Le journal le Monde publiait le 15 décembre dernier un article intitulé : « Gilets jaunes : Arnaud et Jessica, la vie à un euro près ». Ils ont 26 ans, lui est cariste en CDD à 1493 € par mois, elle est sans travail. Ils ont 4 enfants et un chien. Leur loyer est de 500 €. Ils totalisent 1194 € de prestations sociales. Outre les dépenses contraintes (électricité...), ils ont un budget nourriture de 400 € (pour 6 manifestement sous-estimé). Ils avouent deux forfaits téléphoniques et céder aux pressions des enfants pour un MacDo par mois et des « vêtements de marque ». Ils sont à découvert le 15 du mois. Ils se relaient pour manifester en gilets jaunes le week end sur un rond-point.

Ce modeste article a donné lieu sur le site du journal à 1153 commentaires ! Les neuf dixièmes manifestent une hostilité venimeuse à l'endroit de cette famille. J'ai pris la peine de lire ces 1153 commentaires. C'est accablant de mesquinerie, de médiocrité, d'inhumanité. Et c'est le fait de ces classes moyennes à prétention intellectuelle qui constituent l'essentiel du lectorat du Monde. C'est une anthologie, qui aurait ravi Gustave Flaubert, de la bêtise hargneuse de cette bourgeoisie macronienne qui n'est que la lamentable réincarnation de la bourgeoisie louis-philipparde de 1830 obnubilée par le dégoût et la peur de ces classes laborieuses promptes à se muer en classes dangereuses à dompter et soumettre par tous les moyens de l'ordre et de la violence d'Etat. On en est là aujourd'hui. L'invisibilisation latente des classes populaires marque un coup d'arrêt. C'est l'éternel retour de la lutte des classes qui effraye tant le bourgeois macronien. C'est aussi le retour des pires stéréotypes du XIXème siècle à l'encontre des pauvres. Comme on va le voir...

Sous le couvert de l'anonymat, selon la pratique commode et discutable des réseaux sociaux, c'est un concert d'invectives. Beaucoup de commentaires se réclament directement de Macron, il est logique que le mépris de classe, marque indélébile du macronisme, s'y exprime sans fard. Un commentaire le dit crûment : « Ras le bol des pauvres. Le mépris de classe devient obligatoire ». « Assistés », « irresponsables », classiques, sont les qualificatifs les plus avenants, mais sous pseudo le lecteur du Monde, prétendument distingué et cultivé, se lâche : « faux-pauvres, immatures, feignants, parasites, abrutis, zozos, crétins irrécupérables, débiles, incultes assistés... ». Chacun connaît l'immense stupidité des pauvres, ils « ne sont pas super malins », ils « ne sont pas très futés », ils « manquent de jugeotte ». Et même « que de baffes perdues » devant tant « d'inconséquence » et « d'indécence », tant de « connerie » . C'est « la France d'en-bas...tout en bas » avec son « insouciance criminelle », son « déficit d'intelligence », son « déficit d'éducation », sa « pauvreté intellectuelle ». Il faut donc que cessent ces « jérémiades », arrêter de « pleurnicher au lieu de se battre ». Ils « font leur propre malheur » et « pleurer c'est se foutre du monde ». A ce niveau de dénigrement, le mépris de classe fait place à un authentique racisme social.

Parce qu'en plus, les pauvres sont des ingrats. Ils « profitent grassement de la solidarité nationale », ils « vivent de l'Etat, de la charité publique », ils « profitent des aides sociales et ils se plaignent », cette « famille vit aux crochets des autres », elle « est biberonnée à l'Etat-providence », « Madame ne bosse pas, la société lui paie tout, prend en charge sa progéniture »... Voilà donc que le modèle social français, habituellement exécré par le bourgeois macronien, devient une éminente vertu nationale : c'est « la redistribution qu'on a la chance d'avoir en France », « quelle chance avons-nous de vivre dans un pays pareil » avec son « système social très généreux ». « La moitié du revenu (de cette famille) lui est gracieusement offert par le gouvernement et les Français ». « Offert » ! Cette formule revient plusieurs fois. Comme si les « aides » sociales ne constituaient pas des prestations et des droits (et non une charité publique) conquis de haute lutte. Mais dans les basses classes, on n'en est même pas reconnaissant : « ils veulent mettre à bas la société qui les nourrit » ou « mordre la main qui les nourrit », ils « se permettent de cracher dans la soupe ». Décidément les gueux ne savent pas se tenir, « ils croient que tout leur est dû » alors qu'il « faut savoir dire merci ». Le bourgeois louis-philipard conservateur professait que « l'assistance » aux pauvres encourage le vice. Pour le bourgeois macronien « progressiste » des « allocations trop généreuses perpétuent la pauvreté ». Et ce n'est pas tout... (à suivre).

 

NIR 221. 18 février 2019