Macronisme et mépris de classe (3)

Écrit le . Publié dans Idéologie Libérale

 

 

Le mépris de classe a évidemment son fondement dans la domination de classe mais il n’en est pas forcément une expression nécessaire. Il diffère également de la violence symbolique en ce que, en tant qu’expression explicite et avérée de la domination, il manque à la fonction de la violence symbolique qui est de faire adhérer les dominés à leur propre domination. En effet, comme l’indique le sociologue Gérard Mauger, l’expression ouverte du mépris de classe, « de l’insulte à la condescendance en passant par l’arrogance et l’insolence sinon l’indifférence ostentatoire », va susciter chez le dominé des affects comme « l’humiliation, la honte de soi et des siens, et/ou la colère » pouvant conduire à des ripostes, des répliques, des représailles plus qu’à la trop fameuse imposture de cette « résilience » qu’il faudra bien un jour déconstruire, une « résilience » qui n’est que résignation, soumission et consentement à la domination (Gérard Mauger, « Sociogenèse, modalités et effets du mépris de classe », Postface à Nicolas Renahy et Pierre-Emmanuel Sorignet (dir.), Mépris de classe. L’exercer, le ressentir, y faire face, Editions du Croquant, 2021).

Ceci posé, on se demandera de quoi s’autorise la bourgeoisie dominante pour ainsi disqualifier ceux qu’elle exploite. C’est tout l’objet de la théorie libérale qui n’est qu’une ratification verbeuse d’un ordre établi fondé sur l’inégalité sociale et la tyrannie de l’argent, une visée à prétention anthropologique où la condition de l’humain se réduit à la préservation de l’intérêt personnel. Cette anthropologie n’est qu’une mythologie modelée par la logique marchande avec ses formules magiques telle l’inénarrable « main invisible du marché » ! Le macronisme est aujourd’hui la mise en place la plus aboutie de cette conception du monde et de la société ainsi que le démontre impitoyablement la philosophe Myriam Revault d’Allonnes en une centaine de pages particulièrement sévères (L’esprit du macronisme ou l’art de dévoyer les concepts, Seuil, 2021).

Le postulat du libéralisme a été exprimé, entre autres, par Thatcher, en 1987, avec sa lourdeur et sa férocité habituelles : « la société, ça n’existe pas ». L’humanité ne serait donc qu’une collection d’individus « anté-sociaux » guidés par le seul profit individuel, l’avidité, l’accumulation de biens et ne devant rien à personne… Dans la vision enchantée de la théorie, des individus libres, autonomes, responsables et entreprenants concourent au bien général en s’appropriant personnellement le maximum de richesses… Et c’est toujours le meilleur qui gagne parce qu’il en a le talent… la preuve puisqu’il a gagné ! Un raisonnement circulaire parfaitement imparable. Le modèle consacré en est ce qu’on appelle communément le « patron », héros de notre temps… Dire « entrepreneur » pour faire chic et « premier de cordée » dans le parler Macron. Myriam Revault d’Allonnes démonte cette « autonomie » qui n’est qu’un égoïsme trivial au service d’une cupidité sans rivage ; cette « responsabilité » qui n’est que prétexte à nier tout lien social ; cette « liberté » qui n’est que celle d’écraser son prochain et donc de suffisamment le mépriser pour que cela paraisse légitime…

On pourrait multiplier les exemples de l’immuabilité du dogme… Pour Tocqueville (1805-1859), référence incontournable des dévots de la libre-entreprise, toute réglementation juridique de l’horaire de travail relèverait du despotisme (cité par Domenico Losurdo, Contre-histoire du libéralisme, La Découverte, 2013, p.257). Aujourd’hui, Myriam Revault d’Allonnes relève le propos d’une de ces innombrables chroniqueuses ultra réactionnaires qui sévissent sans contradiction sur les télés dites d’information continue. Macron venaient de recevoir des femmes en difficultés matérielles et financières et la chroniqueuse de les accabler de son mépris : elles étaient au SMIC, mais avaient-elles bien travaillé à l’école ? Et on ne divorce pas quand on est dans une situation financière difficile ! Où la bêtise rejoint l’inhumanité… Et avec des leçons de morale en plus car pour les libéraux l’indignité qu’ils attribuent aux pauvres n’est qu’une conséquence de l’immoralité qu’ils leur prêtent…