L'immoralité du capitalisme

Écrit le . Publié dans Idéologie Libérale

C’est fou ce que la morale est à la mode en ce moment chez les libéraux. Ce ne sont que vertueuses indignations et graves appels à la « moralisation » du capitalisme. AIG, Société générale, Valéo, Natixis... il sort pratiquement une affaire par jour! Il faut dire que l’imagination technocratique des banquiers, managers et autres grands patrons paraît sans limites quand il s’agit de se cuisiner diverses formes d’enrichissement personnel: bonus, stock-options, golden parachutes, retraites chapeau, dividendes, jetons de présence, etc. Sauf qu’il y a seulement 6 mois, cela ne gênait personne, l’argent roi régnait en maître et les mêmes que l’on vilipende aujourd’hui étaient célébrés comme d’admirables représentants d’une élite exemplaire et bienfaisante dont la « compétence » méritait bien qu’ils s’auto-récompensent sans frein. Alors nos nouveaux moralistes rament. Il fallait voir, mercredi dernier, 25 mars, la pitoyable prestation de Laurence Parisot sur France2, tentant de justifier l’injustifiable, quasi la larme à l’œil dans une mauvaise mise en scène où les patrons jouaient le rôle de pseudo boucs émissaires: un fiasco malgré les questions complaisantes d’un Pujadas qui tient à entretenir sa réputation de veulerie devant les puissants.

Agacé par tant de tartufferie, j’avais avancé l’idée, dans une précédente chronique, que vouloir « moraliser » le capitalisme était d’autant plus stupide qu’il ne serait ni moral ni immoral mais amoral. J’ai retrouvé cette idée chez le sociologue Robert Castel à propos de son dernier livre, La Montée des incertitudes, où il déplore que les libéraux aient réussi à déplacer (idéologiquement) la conflictualité sociale de l’opposition entre exploiteurs et exploités à une opposition (fictive) entre des salariés privilégiés nantis de leurs « avantages » sociaux et des démunis et précaires sans statut... Castel évite cependant de se demander si son concept ambigu d’ « insécurité sociale » n’aurait pas pu alimenter cette imposture! L’idée d’amoralité du capitalisme se trouve aussi chez André Comte-Sponville, fameux philosophe pour ménagère de moins de 50 ans, qui en fait la base de son ouvrage, Le capitalisme est-il moral? Je me suis alors demandé si cette idée n’était pas en fait un lieu commun commode: le capitalisme exonéré de toute référence à quelque loi morale que ce soit, il n’y aurait plus qu’à déplorer d’éventuels comportements immoraux de quelques capitalistes indélicats.

Réflexion faite, le capitalisme doit être en réalité défini comme foncièrement immoral. Cela suppose de pouvoir se reposer sur des valeurs morales incontestables. Elles existent, que ce soit, pour une philosophie matérialiste, sous la forme d’exigences fondées sur des réalités concrètes ou, pour l’idéalisme philosophique, sous la forme, par exemple, de l’universalisme moral kantien. Dans tous les cas le capitalisme est condamnable. Considérant les catégories du juste et de l’injuste, comment un système dont le principe fondamental est l’exploitation de l’homme par l’homme ne serait-il pas immoral? Comment un système qui ne conçoit la société que comme un affrontement permanent d’égoïsmes individuels, où seule fait loi la recherche effrénée du profit personnel, où l’on célèbre comme une religion la rapacité insatiable de l’avoir, ne serait-il pas immoral? On sait comment Marx et Engels, dans le Manifeste, montrent que la bourgeoisie, en dépassant le mode de production et les valeurs du féodalisme, a installé une domination encore plus totale où le cynisme tient lieu de morale, « pour ne laisser subsister d’autres liens entre l’homme et l’homme que le froid intérêt, les dures exigences du paiement au comptant... (La bourgeoisie) a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ».

Comment ne serait pas immoral un capitalisme dont toutes les formes d’accumulation primitive sont fondées sur le banditisme, ainsi qu’en convient l’idéologue ultra-libéral Guy Sorman: « la piraterie, la traite des esclaves, l’exploitation sous toutes ses formes, la contrebande, le marché noir, le trafic d’influence, le commerce de la drogue »? On sait aujourd’hui que les mafias sont des entreprises capitalistes parfaitement orthodoxes: esprit d’entreprise, conquête et partage des marchés, maximisation du profit, placements spéculatifs, faible coût du travail... en attendant de

devenir sous peu des sociétés respectables où, comme le dit Sorman des entreprises classiques, « un fils formé par les universités et la génération suivante légitimera rétroactivement la fortune familiale ou entrepreneuriale par quelque fondation culturelle ». En retour, les pratiques mafieuses de grandes et honorables entreprises capitaliste ne sont un secret pour personne: paradis fiscaux, corruption politique, pillage des pays pauvres, milices, pratiques frauduleuses que l’on n’appelle escroqueries que lorsqu’on ne peut plus les dissimuler... Comme disait Jean-Marie Harribey dans Sud-Ouest du 27 mars, « on ne peut pas moraliser le capitalisme, ces excès sont dans sa nature même ».

30 mars 2009