La production idéologique de la compulsion sécuritaire
Remarque-t-on assez la profonde cohérence idéologique des moindres mesures, projets ou provocations de la meute sarkozyste? L’aboyeur Lefebvre préconise de faire travailler les salariés en arrêt de travail (suivant la logique loufoque, repérée par Alphonse Allais, qui conçoit de construire les villes à la campagne), le gouvernement se donne les gants de repousser la proposition mais chacun comprend qu’il s’agit d’un ballon d’essai élyséen ; Darcos, toujours soucieux de prévenir le moindre souhait présidentiel, prône les portiques détecteurs de métaux à l’entrée des collèges et lycées et la fouille des cartables... Notre première réaction est de hausser les épaules : n’importe quoi, se dit-on avec commisération. On a tort!
La compulsion sécuritaire que l’on voit se déchaîner est parfaitement maîtrisée et relève de la même vision du monde social qui a conduit à la conception du RSA, contrairement à ce que voudraient croire les bonnes âmes à courte vue. Il y a bien une philosophie sociale de la fraction dominante de la classe dominante (cf. Luc Boltanski, Rendre la réalité inacceptable, Démopolis, 2008) qui va produire et diffuser une double représentation des classes populaires : d’une part des dominés éventuels rebelles à une sujétion présentée comme inévitable et bienfaitrice, il faut en prévenir les révoltes contre l’ordre social en les criminalisant ou au moins en désamorcer les manifestations, ce sera la construction du « sentiment d’insécurité » ; d’autre part des dominés qui ne doivent leur subordination qu’à une incapacité native, une absence de mérite et un potentiel de paresse congénitale tel qu’il est nécessaire de les dresser et de les moraliser, c’est aujourd’hui la mise en place du RSA (cf. Serge Paugam et Nicolas Duvoux, La régulation des pauvres, PUF, 2008). Il s’agit d’une véritable doxa qui, bien entendu, se présente sous la forme des évidences du sens commun, « comme si elle ne faisait rien d’autre que de dire ce qui va de soi » (Luc Boltanski), alors qu’elle vise à façonner une représentation du monde social conformément à l’intérêt des dominants : c’est en ne prétendant rien de plus que de rendre manifeste ce qui est qu’elle fait être ce qu’elle dit qui est.
Il y a tout un appareil de production de l’idéologie dominante tel que Bourdieu et Boltanski l’avait analysé en 1976. L’avènement du thème de l’insécurité n’est en outre rien d’autre que l’exacerbation du contrôle social et de la surveillance des populations que Michel Foucault a décrit sous le concept de biopouvoir. Mobiliser deux voitures de police et six policiers pour deux enfants et un vélo, comme dit Yves Harté dans Sud-Ouest (22.05.2009), relève du même dispositif qui a permis l’ahurissante (à première vue!) affaire de Tarnac. La rhétorique scolastique, alambiquée et contournée de Julien Coupat (interview dans le Monde, 26.05.2009) qui est celle d’un révolutionnaire dans la stratosphère platonicienne et où l’énigmatique sonne souvent creux apparaît bien inoffensive. Il analyse néanmoins avec pertinence la production idéologique du « terrorisme » comme pure fabrication de cette partie de l’idéologie sécuritaire qu’est l’ « antiterrorisme ». Selon Coupat, l’antiterrorisme est une technique de guerre psychologique par quoi l’on produit l’ennemi politique en tant que terroriste, il s’agit d’associer au sein de la population l’ennemi politique à l’affect de la terreur. Autrement dit, la doctrine antiterroriste ayant préconstruit l’objet
« terrorisme », il faut lui donner maintenant un os à ronger en lui trouvant à tout prix des
« terroristes ». Et cela a été la vaine et pathétique recherche de « preuves » menée par cette pauvre Alliot-Marie!
On peut généraliser cette démarche où l’on conduit les médias à véhiculer des notions préfabriquées sans contenu comme celle d’ « ultra-gauche », que l’on prononce d’un air entendu ou cette inénarrable « mouvance anarcho-autonome » censée faire trembler dans les chaumières. Plus sérieusement, le caractère intrinsèque, endogène de la « violence des jeunes dans les écoles et les quartiers » est désormais considéré comme un fait qui ne se discute pas, chaque média s’acharnant à
rechercher le scoop grand-guignolesque qui lui permettra de surpasser ses confrères en illustrant le stéréotype. Tout ce qui permet d’escamoter les véritables difficultés et de prendre l’effet pour la cause. Comme si le vrai problème de l’école était l’éventuelle présence d’un couteau dans un cartable et non la violence permanente qu’est l’échec programmé des enfants des classes populaires et qui peut les conduire à un ressentiment somme toute légitime. Constatons qu’après avoir vidé les collèges et les lycées de ces adultes nécessaires qu’étaient les personnels spécialisés nommés surveillants, Darcos veut en introduire d’autres nommés policiers! C’est toute une conception de la société qui montre ici son visage grimaçant!