L'argent sans foi ni loi
Voici donc une nouvelle manifestation de la haute tenue intellectuelle de la « philosophie » macronienne : figurez-vous que ceux qui veulent « taxer les riches », c'est rien que des « jaloux » ! C'est sûr que pour sortir une sornette aussi défraîchie que le capitalisme lui-même, il faut avoir appris par cœur toute l'oeuvre philosophique de Paul Ricoeur ! Halte à la « jalousie française qui consiste à dire : il y a des riches (ou « des gens qui réussissent », selon les versions), taxons-les, nous nous porterons mieux ». Ce serait même une « passion triste » bien française... Il est vrai qu'on voit mal en effet le chômeur en fin de droits danser joyeusement devant le buffet en clamant son amour des milliardaires. Un jaloux, un envieux, un fainéant ! Il ferait mieux de « créer son entreprise », à l'image de ceux qui « prennent des risques », entreprennent, tirent tout le monde vers le haut selon la nouvelle fable d'un macronisme en mal de crédibilité. C'est la métaphore débile du « premier de cordée », tentative de créer un imaginaire d'une confondante niaiserie fondé sur un individualisme obtus et terriblement daté. Des individus, d'élite évidemment, entraîneraient par leur dynamisme, leur intelligence, leur « goût du risque », leur « talent », etc. l'ensemble de la société, fainéants et jaloux compris ! Ce conte à dormir debout doit bien faire rire dans les chaumières du 16ème arrondissement et autres territoires perdus de l'impôt sur le revenu.
Il y a quand même quelque chose d'étonnant dans cette obsession si ouvertement affichée de Macron d' assister sans pudeur ni précaution des riches qui en ont si peu besoin, dans cette phobie de taxes qui pourraient les toucher... Il y a certes le dogme libéral selon lequel moins le riche paie d'impôts, plus il investit dans la production... C'est évidemment une foutaise. Contrairement à la pieuse légende libérale, les riches n'aiment pas particulièrement les placements à risque pour leur précieux capitaux, ils privilégient les épargnes de « père de famille » , les rentes tranquilles et les paradis fiscaux, ce que permet bien aujourd'hui le développement des marchés financiers avec la multitude de ce qu'on appelle les produits dérivés. Macron connaît bien ce système... Le seul moyen pour contraindre les riches à la redistribution, c'est l'impôt, et tout « premiers de cordée » qu'ils soient, ils n'en veulent pas.
L'autre argument pour justifier les baisses d'impôt des riches est parfaitement honteux car n'étant qu'une scandaleuse complaisance pour l'incivisme et les illégalismes des nantis. Il s'agirait d'inciter les « exilés fiscaux » à « rentrer en France » ! Autrement dit, il faudrait appâter cette catégorie d'individus sans foi ni loi dont la seule préoccupation est de protéger et de faire fructifier sans risque ni contrainte leur cher pognon à l'abri des regards et de toute exigence sociale... Des individus dépourvus du moindre sens civique, indignes du titre de citoyen français et qui, comme disait Danton des aristocrates, les « émigrés », fuyant la Révolution, emportent la patrie à la semelle de leurs souliers... Il faudrait faire risette à des tricheurs, récompenser le cynisme et cela au nom d'un « impératif de compétitivité fiscale » dont « l'efficacité économique » reste à prouver et qui est de toute façon moralement et civiquement inacceptable. En tout cas, ces gens ne suscitent pas la jalousie, non, mais le mépris !
Et il y a des idéologues pour plaider la cause des nantis et vanter la « sagesse de l'argent » ! M. Pascal Bruckner, que l'on dit philosophe, par exemple, s'est donné la noble mission de défendre les riches, ces damnés de la terre, injustement malmenés, offensés, humiliés, reclus dans leurs modestes hôtels particuliers... Il nous avait déjà alerté, proclamant pompeusement, en 2013 : « la richesse n'est pas un crime ». Astuce rhétorique qui consiste à attribuer une assertion douteuse à un contradicteur pour facilement réfuter son argumentation. La richesse n'est peut-être pas un crime mais les moyens d'y parvenir sont souvent criminels, en tout cas peu reluisants car généralement fondés sur l'exploitation de l'homme par l'homme. M. Bruckner vient donc de célébrer « la sagesse de l'argent » ! Démonstration laborieuse faite d'obscurités prétentieuses (« l'argent est une promesse qui cherche une sagesse ». Ah bon?) ; de platitudes compassées (« il est sage d'avoir de l'argent, il est sage de s'interroger sur lui ». Certes !) ; de calembours futiles (« bien penser, c'est aussi apprendre à bien dépenser ». Ou à s'en dispenser !). Affligeant !
NIR 192. 29 octobre 2017