Le monde selon M. Dessertine
C'est bien un combat d'arrière-garde que mène M. Dessertine, dans Sud-Ouest et autres lieux, en feignant d'ignorer l'impasse monétariste du tout pour la rente. Ce qui le conduit, contre toute évidence, à exonérer la spéculation de toute responsabilité dans la mise en coupe réglée des comptes publics. Il s'efforce de relativiser l'avidité des banques qui ont trouvé dans des Etats complaisants des vaches à lait idéales : complaisants car les gouvernements libéraux de ces Etats les ont livrés à la spéculation par une dérégulation financière effrénée, conformément à la vulgate monétariste. En vérité, la spéculation financière est l'âme même du monétarisme. M. Christian Stoffaës, éminence du Cercle des économistes, la mort dans l'âme, ne s'y trompe pas : « la dette sonne la fin du monétarisme », dit-il. La spéculation financière, pour laquelle M. Dessertine a toutes les indulgences, est vue ainsi par M. Stoffaës : « l'encouragement à spéculer sans couverture, donc l'insolvabilité des banquiers devenus spéculateurs (…) le mistigri de la dette privée transféré à la dette publique... » (www.lecercle.lesechos.fr). Il est seulement dommage que la lucidité de M. Stoffaës, économiste officiel, soit un peu tardive.
Il n'est pas le seul et le doute s'installe même dans les lieux les plus réputés de la bien-pensance économique. M. J.-P. Vittori, chroniqueur aux Echos, met en cause « la grande majorité des économistes », ces « économistes au cœur du système académique, de l'énorme machine à fabriquer la lecture économique du monde (dont) la représentation de l'économie reposait sur des hypothèses fausses (…). En particulier dans la finance qui n'est pas guidée par les « anticipations rationnelles » des acteurs. Les marchés financiers ne sont pas efficients -ils ne déterminent pas le juste prix en intégrant logiquement toutes les informations disponibles. Au-delà, c'est l'hypothèse de la rationalité d'acteurs isolés les uns des autres qui ne tient pas la route ». Pire, « beaucoup d'économistes ont préféré continuer à travailler avec des hypothèses fausses, notamment parce qu'elles se prêtent à l'usage des mathématiques » (09.08.2012). On en apprend de belles ! Et M. Dessertine qui continue à prêcher des hypothèses fausses...
Il reprend ainsi le poncif rebattu qui confine à la propagande selon lequel « des nations européennes ne trouvent pas d'argent non pas à cause de la spéculation mais parce que leurs réformes structurelles sont encore insuffisantes pour rassurer les investisseurs ». Ah, ce jargon des « réformes structurelles » ! Et ces « investisseurs » craintifs qu'il faut « rassurer » ! En fait des rentiers cupides qui réclament leurs 15% et guettent la moindre occasion de spéculation afin de faire fructifier leur cher pognon ! Quant aux fameuses « réformes structurelles », selon Benjamin Coriat - « économiste atterré », il est vrai- elles reposent sur l'idée que la crise est avant tout une crise de l'endettement et des déficits publics (la ritournelle de M. Dessertine, GLS) et que ce sont ceux-ci qu'il faut combattre alors que les déficits et l'excès d'endettement observables aujourd'hui ont d'abord et avant tout pour origine la crise financière de 2008-2010, l'explosion en vol du modèle de finance libéralisée et dérégulée qui s'est imposé à travers le monde depuis 30 ans (www.francetvinfo.fr). On peut ajouter ce qu'en dit Paul Krugman, Prix Nobel d'économie : « la crise a été provoquée par le secteur financier et les marchés mais elle a été réinterprétée en : Tout cela c'est parce que l'Etat-providence est trop gros » (Le Monde, 22.09.2012).
Tous les experts qui sermonnent le peuple au nom de leurs « réformes structurelles », imaginent-ils le lot de pauvreté et de précarité où cela conduit ? 1,5 point de restriction budgétaire, c'est 300 000 chômeurs en plus selon Guillaume Duval (www.alternatives-economiques.fr) et cela alors que les scandales de la spéculation financière (subprimes, Madoff, HSBC, Libor...) se multiplient avec pour seul résultat le développement de monstrueuses inégalités dont même des libéraux finissent par s 'alarmer. Les seuls fonds de gestion de patrimoines privés détiennent de 21 000 à 32 000 milliards de dollars dans les paradis fiscaux ; 0,0014% des humains détiennent 10 à 15% de la richesse mondiale ! (Le Monde, 15.08.2012). Le monde selon M. Dessertine...
1er octobre 2012