« Pigeons » ou rapaces ?
Cela commence à bien faire ! Il y en a assez de tous ces privilégiés du fric qui s'accrochent à leur magot avec une rare indécence et se présentent, sans le moindre scrupule, comme des victimes. Il y a les restaurateurs qui se cramponnent à leur TVA à 7% pour mieux réchauffer les plats de la cuisine industrielle et qui menacent de licencier les salariés qu'ils n'ont pas embauchés... Il y a les médecins spécialistes qui s'agrippent à leurs dépassements d'honoraires souvent exorbitants mais toujours immoraux car faisant ainsi payer, sans vergogne, au prix fort, un savoir-faire qu'ils ont acquis gratuitement, avec l'argent public, dans les centres hospitalo-universitaires...
Mais l'épisode récent le plus crapoteux a sans doute été cette sordide affaire des prétendus « pigeons ». On en connait l'origine, la simple application d'un principe on ne peut plus légitime : imposer les revenus du capital au même niveau que les revenus du travail. Emoi dans les portefeuilles ! « Erreur économique... Effets catastrophiques... », clame dame Parisot. Dans le cas précis, il s'agissait de faire passer de 34,5% à 58% la taxe sur les plus-values de cession (c'est-à-dire de revente) de sociétés ou de parts de sociétés. Horreur chez les possédants privés peut-être de la joie raffinée des ventes et reventes spéculatives et ne trouvanr pas anormal que les plus-values de cession imposées à 45% dans la Silicon Valley ne le soit qu'à 34,5% jusqu'alors en France (Le Monde, 18.10.2012).
Moi qui croyais qu'un authentique entrepreneur créait une société avec pour objectif avant tout de la développer dans un domaine donné, certes pour gagner de l'argent, mais aussi parce qu'il était un passionné de ce domaine... Il s'avère que les « pigeons » en question sont plus préoccupés de la revente de leur entreprise que de son activité... Et ces particuliers investisseurs que l'on appelle business angels sont moins des pigeons que des rapaces à l'affût de la bonne affaire à revendre au bon moment en se faisant un « max de thunes », comme dit J-E Ducoin dans éditorial de l'Humanité (08.10.2012). Bref tout à fait le genre « prend l'oseille et tire-toi ! ». Rien n'est plus pertinent que d'imposer très fortement ce genre de manœuvres dont le caractère spéculatif n'échappe à personne en dépit des grandes envolées sur l'emploi et l'investissement dans les « start-up » innovantes de ces jeunes (?) gens aux dents longues et à l'avenir radieux...
Mais qui sont donc ces faux pigeons ? J-E Ducoin parle avec justesse d'un « quarteron de petits ultralibéraux à l'angoisse fiscale développée ». Encore que « petits », c'est à voir... Quand les patrons de Meetic, Virgin Mobil ou Clipperton Finance (une boîte qui gère les fusions-acquisitions et vit donc de la vente et revente de sociétés) viennent se présenter en exploités, on se dit que c'est bien eux qui nous prennent pour des pigeons ! Ainsi que le remarque l'économiste Thomas Piketty, « les pigeons en question sont souvent des gros spécimens dont la colère (témoigne) aussi du sans-gêne de certains hauts revenus irrités de payer plus (?) que d'autres » (Le Monde, 7/8.10.2012).
Le comique, c'est de voir tout ce patronat bling bling jouer à la guerre fiscale en dentelles... Fronde, jacquerie, révolte... Ah, les rebelles ! Soulevé d'enthousiasme, Le Point (11.10.2012) pousse le ridicule jusqu'à parler d'une « des plus importantes révolte fiscale depuis celle du papier timbré en 1675 » sous Louis XIV ! Rien que ça ! Il est évident qu'à côté de l'imposition des plus-values de cession d'aujourd'hui, la taille, la dîme et la gabelle d'autrefois n'étaient que d'aimables et joyeuses contributions du bon peuple au bonheur de la Cour, de la noblesse et du clergé et n'ont jamais suscité le moindre mécontentement. Le Point ajoute, il est vrai, que la « fronde anti-impôt a porté ses fruits ». Tout le monde l'a remarqué, « le gouvernement a été bien prompt à donner du grain aux pigeons » (Le Monde, 21/22.10.2012). Une nouvelle fois un gouvernement socialiste a capitulé devant le pouvoir de l'argent... Et cela parce qu'il adhère pleinement à toute une mythologie de l' « entrepreneur » qu'il est temps de démonter...
29 octobre 2012