La « dette » n'est pas celle qu'on nous dit
Dans les cercles bien pensants, il serait malséant d'envisager qu'il puisse y avoir un rapport entre la supposée dette publique et l'immensité de la fraude fiscale. Celle-ci reste traitée de façon parfaitement anecdotique et désinvolte. La minuscule affaire Cahuzac dans un océan de malversations est réduite à une défaillance individuelle. Les révélations de l'Offshoreleaks sur l'évasion fiscale mondiale sont retombées à plat. Les possédants, on le sait, consacrent une bonne part de leur énergie à éviter l'impôt par tous les moyens, légaux ou illégaux, « optimisation fiscale » ou tricherie caractérisée. Il y a là une constante historique bien édifiante, une sorte de sport qui faisait dire à la Tribune (21.09.2012) : « L'enfer fiscal des riches ? Pas si sûr... »
La fraude fiscale massive dispose d'un grand prestige auprès des riches et d'une grande indulgence auprès des « experts ». Ce n'est pas le cas de ce qu'ils appellent la « dette publique » et, le 4 mai, nous avons eu droit dans Sud-Ouest à un nouveau sermon, toujours le même, de M. Dessertine : couvrons-nous la tête de cendres devant une « accumulation gigantesque de dettes », il « faut se serrer la ceinture », c'est même un « objectif humaniste »... Bref, M. Dessertine s'accroche au dogme de l'austérité avec un entêtement qui lui fait rejeter tout ce qui pourrait mettre en cause son confort intellectuel. C'est ainsi qu'il s'efforce de désarmorcer, sans le dire, par l'ironie, l'incroyable erreur de « deux économistes stars », Reinhart (Carmen) et Rogoff (Kenneth) « connus pour avoir inspiré la plupart des politiques d'austérité dans le monde, en Europe notamment » (le Nouvel Observateur, 02.05.2013) et dont l'étude a servi de « fondement académique aux partisans de la stratégie de réduction draconienne des dépenses publiques comme moyen de surmonter la crise de la dette » (le Monde, 23.04.2013). Nos doctes experts avaient donc « démontré » qu'une dette publique à plus de 90% du PIB provoquait un déclin de croissance à -0,1%. Ce qui est devenu sans plus attendre la bible des ultralibéraux. Un étudiant, innocemment, a refait les calculs : en fait une dette à plus de 90% du PIB conduit à une croissance à +2,2% ! Nos compères se sont bel et bien plantés : c'est la baisse de croissance qui crée les dettes et non l'inverse. La bévue était grossière, l'oubli d'une ligne dans un banal tableur Excel a fait le malheur de millions de gens à travers le monde... Et ça fait marrer M. Dessertine !
C'est comme le fameux 3% du PIB comme ratio du déficit à ne pas dépasser. On a longtemps cru que c'était le résultat de savants calculs minutieusement élaborés par d'éminents spécialistes. C'est en fait un chiffre pifométrique, parce qu'il en fallait bien un, gribouillé sur un coin de table par un vague chargé de mission aux finances sous Giscard, en 1981. Attali qui voudrait nous faire croire qu'il a tout vu, tout dit et tout prédit en revendique la paternité parce qu'il lui « semblait pertinent » (le Monde, 01.10.2012). On appréciera la rigueur !
Mais quel est donc le statut de la « dette publique » et son rapport à la fraude fiscale ? La dette publique, en chiffres ronds, est évaluée à 1 800 milliards d'euros. Mais c'est le déficit du budget de l'Etat qu'il faut considérer, il est estimé à 1 400 milliards, une somme accumulée sur 20 ou 30 ans. Le déficit de la protection sociale doit en être séparé car il ne dépend pas de la fiscalité. Le syndicat Sud-Finances estime la fraude fiscale à 60 ou 80 millards par an. Prenons une moyenne de 70 milliards : sur 20 ans, cela fait exactement 1 400 milliards ! Autrement dit, le montant du déficit du budget de l'Etat correspond au montant de la fraude fiscale... « Gigantesque », comme dirait M. Dessertine !. La « dette » n'est pas ce qu'on nous en dit. La véritable dette, ce sont les 1 400 milliards volés par les possédants en au moins 20 ans au budget de l'Etat. Si les recettes fiscales rentrent normalement, il n'y a pas de déficit comptable ! La « dette » n'est pas l'apocalypse dont feignent de s'alarmer les économistes à gages, un monstre structurel produit par l'abominable « modèle français ». C'est le résultat d'une spoliation systématique de l'Etat par les citoyens les plus riches et les plus cupides de ce pays, le forçant à emprunter. Et, si ça se trouve, ce sont les mêmes qui, par l'intermédiaire des banques, prêtent à cet Etat l'argent qu'ils lui ont soustrait !
13 mai 2013