Le retour du patronat de droit divin
Quelle grande voix va enfin s'élever pour dénoncer l'obscénité ploutocratique dans laquelle la trahison socialiste après la calamité sarkozyste fait se vautrer notre société ? Sartre, Bourdieu ! Où êtes-vous ? Debray joue les coquettes dans sa tour d'ivoire. Onfray est perdu corps et biens. Badiou verse dans le dandysme... Le champ est libre pour les petits maîtres de l'idéologie économiste, tel le trio infernal Aghion-Cette-Cohen pour qui l'humain ne sera jamais qu'un marché. Séides hollandais du social-libéralisme, ils mettent en forme la bonne parole néo-libérale et en orchestrent l'inculcation : le bon peuple doit comprendre, contre toute évidence, que son bonheur réside dans le dévouement à l'enrichissement des puissants. Dans leur rhétorique jargonneuse cela se dit : les « ménages » doivent faire des sacrifices pour permettre aux « entreprises » de reconstituer leurs « marges ».
Le dénommé Gattaz, avec l'arrogance de qui se sait tout permis, passe aux travaux pratiques : il faut supprimer l'impôt sur la fortune qui cause aux riches tant de soucis et le compenser par une augmentation de la TVA de 20 à 27%, noble dessein pour faire participer même les plus pauvres au nécessaire creusement des inégalités... Mais la principale cible du susnommé, c'est, en ce moment, tout ce qui peut rendre moins précaire la vie et le travail des salariés, en particulier le code du travail. La rengaine est générale chez les possédants et leurs amis. On a ainsi vu un politicien sur le retour comme Bayrou tenter un coup médiatique, par deux fois, avec une pitoyable mise en scène où on le voit jeter sur la table un gros volume présenté comme le code du travail français puis un livret de quelques feuillets censé être le code du travail suisse, leur poids respectif étant supposé expliquer la différence des taux de chômage. Alain Supiot, professeur au Collège de France à la chaire « Etat social et mondialisation : analyse juridique des solidarités », a, le premier, dénoncé une méprisable supercherie (le Monde, 15.10.2014) : le soi-disant code français brandi par Bayrou est une édition comprenant annotations, commentaires et jurisprudence, le véritable code ne fait pas 3 000 pages mais 1 650. Ce n 'est pas plus que le code du commerce lequel, curieusement, ne semble pas gêner Bayrou. Quant au code du travail suisse, il n'existe tout simplement pas et Bayrou n'a pu étaler que quelques pages d'une des diverses lois qui constituent le droit du travail en Suisse. Malhonnêteté intellectuelle et exhibition de bonimenteur, un « numéro qui n'honore pas le débat politique » commente Alain Supiot.
Quant à Gattaz, il fait dans la démonstration pseudo-mathématique en inventant d'étranges corrélations : « Code du travail : 1990 : 1 000 pages, 1 million de chômeurs ; 2 000 : 2 000 pages, 2 millions de chômeurs ; 2010 : 3 000 pages, 3 millions de chômeurs ». Même si c'était vrai, allez expliquer à Gattaz qu'une simple corrélation ne démontre en rien une relation de cause à effet. Mais en plus, ses chiffres sont faux et, en 1990, il y avait déjà plus de 2 millions de chômeurs ! Plus sérieusement, il faut le clamer : la fureur patronale contre le code du travail est absolument immorale et rétrograde. Qu'est-ce que ces criailleries signifient sinon le regret que le salarié isolé et sans protection ne puisse être livré pieds et poings liés à l'arbitraire patronal ? Gattaz veut même que la France résilie la convention OIT qui encadre le droit de licencier et supprimer l'obligation de « cause réelle et sérieuse » pour un licenciement. Le patronat veut jouir sans entraves, coimme on disait en mai 68, du pouvoir de jeter au chômage qui il veut, comme il veut, quand il veut ! C'est le retour du patronat de droit divin et de son pouvoir discrétionnaire sur la plèbe salariée. La crainte de ne pouvoir licencier -comme si c'était si difficile- limiterait les embauches... Sophisme et balivernes. Comme le dit Alain Supiot, « les malheurs de la France viendraient des protections extravagantes dont jouissent ceux qui travaillent. Il suffirait de supprimer le SMIC, les comités d'enteprise et le droit du licenciement pour que notre pays retrouve son dynamisme et sa prospérité. Voilà ce qu'on appelle des réformes courageuses, celles qui consistent à s'en prendre aux droits des plus faibles ».
24 novembre 2014