Haro sur le chômeur (II)

Oui, il est temps de sanctionner ces parasites qui se prélassent honteusement avec des revenus indécents prélevés sur le travail d'autrui ! Non, non ! Je ne parle pas des actionnaires mais bien des chômeurs tels que les voient les libéraux, le patronat et le pouvoir social-libéral. Rebsamen, sinistre second couteau, visiblement chargé, au gouvernement, des basses besognes, menaçait le 2 septembre sur i-Télé : « je demande de renforcer les contrôles pour être sûr que les gens cherchent bien un emploi ». Comme si des contraintes précises n'existaient pas déjà dans la loi, avec sanction du refus de plus de deux offres, même avec diminution de salaire ! Comme si les radiations à Pôle emploi n'étaient pas monnaie courante ! Mais un ministre socialiste se doit d'être attentif aux injonctions des idéologues libéraux comme ce Jean-François Pécresse, journaliste aux Echos et heureux propriétaire de vignobles à Canon-Fronsac, ce qui le met à l'abri du chômage, qui exige de « rendre plus contraignantes les règles si peu appliquées obligeant un demandeur d'emploi à accepter une offre raisonnable d'emploi » (17/18.01.2014)... Et encore plus quand c'est le MEDEF qui commande une nouvelle négociation pour « mettre en place un réel contrôle de la recherche d'emploi quasi inexistant aujourd'hui ». Rappelons seulement que, d'après le Bilan 2012 de la Délégation nationale de Lutte contre la Fraude, la fraude à Pôle emploi représente 0,8% de l'ensemble des fraudes détectées sur une année, soit 39 millions, loin derrière les 3,66 milliards de fraude fiscale détectés sur une fraude massive de 60 à 80 milliards (selon SUD-Finances) laquelle est équivalente au déficit annuel du budget de l'Etat. Même la Cour des comptes vient de révéler que la fraude patronale sur les cotisations sociales était supérieure au déficit de la Sécurité sociale : autrement dit, si les recettes rentraient normalement, il n'y aurait pas de « trou » de la Sécu ! Mais là, toute perspective de contrôle un peu exigeant fait hurler le MEDEF et les libéraux : inadmissible défiance envers les patrons ! Intolérable harcèlement fiscal !

     Mais que pensait donc le Parti socialiste, il n'y a pas si longtemps, du contrôle des chômeurs ? En 2005, il dénonçait vertement un décret permettant de croiser les dossiers fiscaux des chômeurs en cas de soupçon de fraude, ce qui revenait, disait-il « à encourager un véritable harcèlement des demandeurs d'emploi (…). Le gouvernement (Villepin) confirme que pour lui la lutte contre le chômage est d'abord une lutte contre les chômeurs ». Tiens donc ! En 2008, il s'élevait contre un texte de loi manigancé par l'inévitable Wauquiez où Bruno Leroux, actuel président du groupe socialiste à l'Assemblée, voyait une « régression sociale qui choisit la suspicion plutôt que d'appuyer pour les chômeurs des politiques de recherche d'emploi ». En 2008, les socialistes s'indignaient de la proposition de Sarkozy d'un référendum sur le contrôle des chômeurs qu'ils trouvaient « choquant bien sûr parce qu'au lieu d'apporter des solutions, il préfère mettre en scène la  culpabilisation de ceux qui subissent ses erreurs politiques pour mieux s'en dédouaner. Qui peut croire pourtant que 6,2 millions de Français qui s'inscrivent chaque année à Pôle emploi le font par plaisir ou par paresse » (www.les-decodeurs.fr). Bien dit ! Et toujours d'actualité...

     Sauf que, une fois Hollande élu, la social-démocratie vient de dévoiler, sur ce plan aussi, son ralliement inconditionnel au libéralisme le plus orthodoxe. Vieille obsession libérale d'ailleurs que le sort à réserver aux « inactifs » pauvres. J'ai déjà cité le Mémoire sur le paupérisme de l'illustre Tocqueville selon qui il faut avoir « le courage de contraindre à des efforts productifs la portion la plus inactive et la plus vicieuse de la population » et qui déplore qu'on ne puisse « oser laisser mourir de faim le pauvre parce que celui-ci meurt par sa faute ». A la fin du XVIIème siècle, John Locke, père fondateur du libéralisme, se demande, dans un rapport, « comment mettre les pauvres au travail pour les rendre utiles à la population  et ainsi soulager les autres de ce fardeau ». Première étape : « limiter leur débauche (…) par l'élimination des tavernes et estaminets ». Qualifiés de « vagabonds oisifs », ils seront, dès quatorze ans, « envoyés au port le plus proche où on les maintiendra aux travaux forcés jusqu'à ce qu'un des navires de sa majesté offre l'occasion de les mener à bord où ils serviront trois ans sous une stricte discipline » (Que faire des pauvres, PUF, 2013). Une suggestion pour M. Rebsamen...

10 novembre 2014