Surexploitation et temps de travail
Je l'ai rappelé, historiquement, la durée du temps de travail a toujours été un enjeu majeur de la lutte des classes. L'acharnement des capitalistes à préserver à tout prix le temps d'exploitation de la force de travail qu'ils achètent n'est pas le fait d'une méchanceté native mais le résultat déshumanisé de la nécessité de rendement du capital, des exigences du profit maximum. C'est toujours vrai aujourd'hui. On le voit bien dans la vulgarité d'un Gattaz, appelant avec sa brutalité coutumière à la fin de la durée légale du travail, la suppression de jours fériés, le travail de nuit et du dimanche ; ou la bouffonnerie de l'inénarrable UMP Mariton qui, ne sachant comment faire pour exister, croyait malin d'affirmer en septembre 2014 sur i-télé que la France était « le pays où l'on travaille le moins dans la semaine, dans l'année, dans la vie ». On ne voit pas d'ailleurs pourquoi ce serait humainement une si mauvaise chose, mais en plus c'est complètement faux !
Les chiffres existent. On le sait. A condition d'être de bonne foi et de ne pas se contenter des temps pleins. On connait l'explosion du temps partiel, le nombre d'heures en France en est important. Tous comptes faits, les ordres de grandeur de l'OCDE (en 2011) et de la députée socialiste Barbara Romagnan dans un récent rapport coïncident. Pour l'OCDE, en 2011, on travaillait davantage en France, hé oui ! (38h/semaine) qu'en Allemagne (35,5h) ou au Royaume-Uni (36,4h). Aujourd'hui, Barbara Romagnan relève : France, 37,5 ; Allemagne, 35,3 ; Royaume-Uni, 36,5. Il en est de même pour l'année . Toujours si on a l'honnêteté de prendre en compte le temps partiel, selon l'OCDE, en 2013, un actif travaillait 1 478 h/an en France et 1 387 en Allemagne ! Pour l'économiste Philippe Askenazy, « une fois évacuées les comparaisons fallacieuses, les Français travaillent banalement autant en moyenne que les Britanniques ou les Allemands ». Et il ajoute comme coup de grâce à Mariton ou Gattaz : « de toute manière, il n'y a aucune corrélation entre la compétitivité ou le dynamisme d'une économie et la durée individuelle du travail. Il en est de même du travail du dimanche : il est rare outre-Rhin, répandu outre-Manche » (le Monde, 11 09 2014).
Le travail du dimanche ! A quel déluge de tartufferie avons-nous assisté... Tenez cette dame Fressoz, du Monde, qui défend ardemment la loi Macron au prétexte que 70% des Français seraient favorables à l'ouverture des magasins le dimanche... En omettant de préciser qu'ils sont aussi 80% à ne pas vouloir travailler le dimanche (13 12 2014). Légère contradiction ! Côté comique, il faut voir comment M. J. F. Pécresse, éditorialiste ultralibéral aux Echos, découvre enfin avec émotion les soucis du petit peuple, ces « consommateurs désireux de pouvoir faire leurs courses d'agrément » (avec un porte-monnaie vide), ces « salariés volontaires pour travailler tard afin de gagner plus » (en aurait-il donc besoin?) mais « victimes des syndicats (alors) qu'ils sont juste soucieux de faire vivre un peu mieux leur famille » (24.09.2013). Bouleversant. Ou, venant d'où ça vient, à mourir de rire !
Côté social-libéral, on fait dans le sérieux. Il s'y sont mis à deux, Thierry Pech (Terra Nova) et Gilles Finchelstein (Fondation Jean-Jaurès) à ramer laborieusement pour promouvoir le travail dominical avec un seul argument, répété ad nauseam, une prétendue « réalité sociale » à laquelle il faudrait se conformer (le Monde, 18.12.2014). Et ils osent mêler Jaurès à ça ! On se rappelle peut-être que tous les socialistes, en 2008, défendaient ardemment le repos dominical dans une clinquante tribune intitulée : « Yes week end ! ». Mais aujourd'hui, il faut, paraît-il, « libérer l'activité » et l'afflux des touristes chinois se ruant le dimanche Boulevard Haussmann va sauver l'économie française ! Rare imbécillité que cette image de touristes chinois désespérés de ne pouvoir faire leurs « courses d'agrément », comme dit l'autre. Médiocres calculs de petit épicier du capital. L'essentiel est ailleurs. Selon Eric Heyer (OFCE), « sur le travail du dimanche, les économistes ont maintenant suffisamment de recul pour avoir la preuve que cela ne crée pas plus d'activité sauf dans les zones touristiques » (les Echos, 20.10 2014). L'essentiel, ce même journal ultralibéral le crache : la loi Macron « permet de faire la pédagogie de la concurrence auprès des Français ».
26 janvier 2015