Un pouvoir despotique
La contre-réforme patronale n'épargne aucun front. C'est toujours la même rengaine régressive qui s'attaque à l'ensemble des droits conquis de haute lutte depuis deux siècles par les travailleurs. L'obscurité apparente du débat sur les seuils sociaux ne fait que masquer le véritable objectif du patronat : mettre fin à la présence syndicale dans les entreprises, chasser les délégués du personnel, ces gêneurs... C'est toute l'idéologie de l'arbitraire patronal revendiquant un pouvoir quasi-féodal... Au nom de l'intérêt général, bien sûr, le pouvoir socialiste s'est empressé d'adopter la doctrine patronale. En mai 2014, le ministre Rebsamen proposait ainsi de suspendre la mise en place des seuils sociaux pendant 3 ans. Ce qui ne faisait qu'entériner ce précepte permanent du catéchisme patronal selon lequel les représentants du personnel, les droits des salariés, le syndicalisme, en particulier sous la forme des seuils sociaux, seraient « un frein à l'emploi et au développement ». De même, Hollande, en août 2014, affirmait que « chacun doit admettre la nécessité de lever un certain nombre de verrous et de réduire les effets de seuils ».
Proclamation purement idéologique : les fameux « effets de seuils » sont, dans le meilleur des cas, à peu près négligeables. Supprimons toute trace des syndicats dans les entreprises et le chômage sera vaincu ! Ne nous y trompons pas, il y a des idéologues libéraux fanatiques pour répandre cette sornette imbécile et démagogique, tel l'inévitable Pécresse, des Echos, exigeant des mesures « pour que l'entrée des syndicats dans l'entreprise n'entrave pas sa croissance » (03.07 .2014). On sait que, dans les milieux patronaux, les annonces mirobolantes, les chiffrages fantaisistes et la malhonnêteté intellectuelle sont, si je puis dire, monnaie courante. On a ainsi vu une officine patronale, l'IFRAP, détourner impunément une étude de l'INSEE sur une modification des seuils sociaux en annonçant sans la moindre précaution méthodologique la création possible de 70 000 à 140 000 emplois ! La grossièreté de l'estimation (du simple au double!) indique déjà l'absence de sérieux de la chose... Mais, en outre, ce n'est pas du tout ce que l'INSEE a calculé : celle-ci a évalué ce que serait une nouvelle distribution des entreprises après un relèvement des seuils sociaux, soit -0,4% d'entreprises de 0 à 9 salariés ; +0,2% de 19 à 20 salariés ; +0,12% de 20 à 40 salariés ; +0,06% de plus de 50 salariés (l'Humanité, 08.07.2014). Non seulement l'effet est quasiment nul mais l'étude concernait la nombre d'entreprises et non les emplois éventuellemnt induits. Reste un effet d'annonce, parfaitement mensonger, que les laquais des médias se sont empressés de répandre même si le think tank social-libéral Terra Nova a dû pour sa part reconnaître que « leur impact (des seuils sociaux) est en réalité très faible en matière d'emplois » (les Echos, 09.10.2014). Ajoutons, pour les admirateurs du « modèle » allemand, qu'un comité d'entreprise y est obligatoire à partir de 5 salariés, contre 50 en France... ça alors !
Elevons un peu le débat. On se gardera d'essentialiser un groupe social. Il n'y a pas une essence du patronat qui ferait du patron, comme le veut l'idéologie libérale, une sorte d'élu (par la Providence ou le Saint-Marché) né pour éclairer et diriger le vulgaire et faire le bonheur du peuple en commençant par le sien ! Plus prosaïquement, la place du capitaliste dans les rapports sociaux le met face à un certain nombre de déterminismes qui vont lui forger une mentalité particulière et lui dicter des comportements spécifiques. Il y a un habitus patronal, c'est-à-dire un ensemble de manières de percevoir, de penser et d'agir propres au groupe et dont il serait intéressant de connaître les composantes. Par exemple, une valeur comme l'altruisme lui restera fondamentalement étrangère car totalement opposée à sa fonction première qui est la recherche du profit personnel... D'où cette indifférence ou ce déni face à la souffrance au travail ou ces railleries sur la pénibilité. Les rapports dans l'entreprise sont des rapports de domination qui font que le patron ne saurait supporter le moindre obstacle à ce qui est son unique objectif, non pas créer des emplois -il faut en finir avec cette fable- mais gagner de l'argent. D'où des comportements de toute-puissance non-maîtrisés, le mépris et la hargne contre tout représentant du personnel susceptible de faire de l'ombre à son autocratie... Le pouvoir patronal est despotique par définition... Et il entend le rester !
9 février 2015