Salaires et force de travail
Les adorateurs du marché -journalistes prétendûment économiques, économistes de médias, patrons farauds en mal de reconnaissance, politiciens sur le retour à la Collomb en mal de notoriété, banquiers de gouvernement à la Macron, etc. tous fort bien rémunérés, merci pour eux ! et qui peuvent « faire des épargnes », comme disait J-B Say- sont aussi sévères et vigilants pour les petits et moyens salaires que discrets et pudiques sur les dividendes. C'est, selon une vieille tradition de la bourgeoisie, un combat permanent pour limiter les revenus des pauvres toujours suspectés d'exigences irresponsables et d'imprévoyance incurable. A-t-on jamais vu un économiste libéral préconiser des augmentations de salaires ! Les salaires des basses classes, et le SMIC en particulier, sont toujours trop élevés...
Parmi les innombrables experts qui sévissent ici, on peut distinguer les prêcheurs qui vont exhorter à la « modération salariale », tel un certain Yturbe, consultant en ressources humaines, afin de « partager, dit-il, une même masse salariale entre davantage de personnes » (les Echos, 25.04.2014). Que les pauvres se débrouillent entre eux ! Le terme à la mode, c'est le « gel ». Aghion parle d'un « gel temporaire du salaire minimum » (les Echos, 16.04.2014) ; un rapport Pisani-Ferry-Enderlin entend « geler les salaires pendant 3 ans ». A. Leparmentier qui tient au Monde le rôle de l'ultralibéral frénétique se réjouit de ce qui serait alors une « dévaluation intérieure », en fait une redistribution à l'envers, des « ménages » vers les « entreprises » !
Il y a aussi les calculateurs dont la cible permanente est le SMIC mais dont les chiffres sont incohérents. D'après un certain Wassmer, « selon les études » baisser le SMIC de 1% créerait à coup sûr 50 000 emplois (les Echos, 26.03.2014) ; pour Michel Godet, « on » estime qu'un « coup de pouce (en plus) de 1% ferait perdre 2 000 à 2 500 emplois » (le Monde, 10.04.2014)... Après les calculateurs, les cyniques n'hésitent pas à prôner un sous-SMIC selon diverses formules. C'est en avril 2014 que Pascal Lamy a ainsi lancé le bouchon, relayé avec entrain par Gattaz recommandant un « SMIC intermédiaire »... L'inévitable Aghion et l'incontournable Godet sont de la partie : le premier propose un salaire minimum variable avec l'àge et avec la région parce que, figurez-vous, la Creuse, ce n'est pas Paris ; Selon Godet, « on peut vivre avec le SMIC dans le Loir-et-Cher et dans le Cantal mais pas en Ile-de-France »... On s'attend à ce que M. Godet renonce incessamment à ses confortables jetons de présence du Conseil d'administration de la Société Bongrain pour nous démontrer comment on peut « vivre » dans le Cantal avec le SMIC ! Le pire, c'est quand ces hommes lige du capital, qui dissertent avec désinvolture sur le dénuement des autres, se prennent pour des humanistes : « un petit boulot, c'est mieux que pas de boulot », ose Lamy ; « mieux vaut un travailleur pauvre qu'un chômeur pauvre », sermonne Godet... On a du mal à maîtriser le dégoût et le mépris qu'inspirent de tels propos. Il a fallu que ce soit Laurence Parisot qui remarque que « proposer un salaire au-dessous du SMIC s'apparente à une logique esclavagiste » (le Monde, 16.04.2014). Comme si, en plus, les petits boulots payés au-dessous du SMIC n'existaient pas déjà !
En termes marxistes, on peut se demander jusqu'où les patrons entendent ainsi minorer le prix de la force de travail. Est-ce qu'un sous-SMIC peut permettre à un travailleur de reconstituer sa force de travail ? On ne dénoncera jamais assez l'imposture de la formule « coût du travail » qui confond délibérément travail et force de travail. Lucien Sève le rappelait de manière lumineuse dans l'Humanité du 09.12.2014, « cette confusion est entretenue parce qu'elle masque le secret du profit capitaliste : la force de travail peut produire bien plus de valeur qu'elle n'en a. Ce qui coûte au capital n'est pas le travail mais l'appropriation privée de cette poule aux œufs d'or qu'est la force de travail. Dénonçant le « coût du travail », il ne cesse en fait de se plaindre que la poule aux œufs d'or doive quand même être assez nourrie pour pouvoir pondre ». C'est bien la force de travail du salarié qui produit les « richesses » et non « l'entreprise » qui ne serait rien sans lui, encore moins le capital... Le capitaliste s'approprie ces richesses et n'en rétrocède chichement qu'une fraction au salarié afin que celui-ci puisse maintenir une force de travail lui permettant de continuer à produire. Mais, comme pour toute marchandise, il entend payer cette force de travail le moins cher possible...
9 mars 2015