« L'infernale soif de l'or »
Dans la classe dominante, ce qui distingue sans doute le plus les détenteurs de capital des détenteurs de savoir est une vertigineuse cupidité, insatiable, permanente, exigeante. L'argent est leur seul horizon et la mesure de toute chose. Les Ghosn, Proglio, Tavares, Varin, Mestrallet, etc. ne sont pas propriétaires au sens des héritiers comme Bouyghes, Lagardère, Bolloré..., ils sont même, ce qui serait comique si ce n'était scandaleux, des salariés. Ils possèdent cependant généralement des lots massifs d'actions qui en font au moins des copropriétaires. Leur préoccupation essentielle est, en tout cas, on le sait, le niveau de leur rémunération. On a vu tous ces derniers temps que l'avidité financière chez ces personnages n'était pas un vain mot, s'offusquant même des réticences que cela finit par provoquer dans le bon peuple. Comme l'avait déjà remarqué Montesquieu, « pour les fortunes immodérées, tout ce qu'on ne leur accorde pas de puissance et d'honneur, elles le regardent comme une injure » (De l'esprit des lois, Livre V, Chapitre V).
Les idéologues libéraux rament pour justifier les monstrueuses rémunérations des grands patrons. Tel un certain Xavier Fontanet lequel croit détenir la vérité économique sous prétexte qu'il a été PDG (d'Essilor). C'est un lieu commun de la propagande libérale : seuls les patrons, ex-patrons et dirigeants d'entreprises seraient habilités à parler d'économie. Regardez cette dame Virginie Calmels, intronisée par Juppé, qui se présente avantageusement comme « venant de l'entreprise », faisant de « l'entreprise » le modèle de toute vie sociale. C'est une vieille imposture véhiculée par le capitalisme américain confondant à dessein l'économie et le business, l'activité humaine de production et de distribution des biens et les « affaires » qui permettent de faire du fric ce qui est bien le seul but de l'entreprise capitaliste.
M.Xavier Fontanet, donc, s'efforce de faire de la retape pour les émoluments des « grands dirigeants » et c'est très émouvant : des « gens qui travaillent trois fois 35 heures par semaine ... accumulent 750 000 km de voyage par an... portent pendant des dizaines d'années des pressions concurrentielles intenses » (le Monde, 05.05.2015). Une chroniqueuse du même journal entonnait le même lamento le 25.10.2014 à propos de Mestrallet et de ses plus de 800 000 euros de « retraite-chapeau » : « une vraie vie de fou menée à 200 à l'heure... toute l'année d'un avion à l'autre... Et pas forcémént enviable à tout point de vue ». Comment ne pas plaindre et admirer à la fois ces êtres d'exception que sont les grands patrons ! La retraite moyenne annuelle en France est de 15 456 euros... Mestrallet, rien qu'avec sa retraite-chapeau (qui n'est qu'une complémentaire), percevra cinquante quatre fois plus qu'un Français moyen ! (Pierre-Yves Gomez, le Monde, 14.11.2014). Et il y a pire... A qui fera-t-on croire que cet écart indécent n'est dû qu'aux seuls mérite et talent du personnage ? « C'est le reflet d'une société » ajoute Gomez... Et il n'est pas beau! Mais c'est le « prix du marché » feignent de se résigner de bonnes âmes. Et puis, nous dit-on, les grandes entreprises ne peuvent se montrer inférieures à leurs concurrentes dans la glorification de leurs chefs ! Affaire d'image, de pouvoir symbolique... Dans le monde capitaliste cela ne peut s'exprimer que par le pognon, ça tombe bien, il ne manque pas de mercenaires interchangeables d'une vénalité à toute épreuve sous couvert de compétences largement surestimées. Contrairement à ce qu'affirme M. Fontanet, les « mauvais » ne sont pas « virés » mais, éventuellement, remerciés avec de confortables indemnités.
Tout tourne ainsi dans ces milieux autour de ce que Marx désigne dans les Manuscrits de 1858-1859 comme une « infernale soif de l'or » où « l'argent n'est pas simplement un objet mais l' objet même de la frénésie d'enrichissement ». La vénalité est au fondement même des rapports capitalistes : « la soif d'avoir est possible sans l'argent mais la frénésie d'enrichissement est elle-même le produit d'un développement social déterminé... ». Au bout du compte, « il n'y a pas de valeurs absolues dès lors que la valeur comme telle est relative à l'argent. Il n'y a rien d'inaliénable, tout étant aliénable contre de l'argent, il n'y a rien d'élevé, de sacré, etc. » (Karl Marx, Ecrits philosophiques, choisis, traduits et présentés par Lucien Sève, Flammarion-Champs, 2011, pp. 371-375).
7 juin 2015