La dette, matière première des banques
Les économistes officiels n'en finissent pas de manger leur chapeau. Voilà que la Banque centrale européenne, jusque là totem et bras armé du monétarisme, jetterait son bonnet par-dessus les moulins des marchés ! Il s'agit pour la BCE de racheter les emprunts des Etats trop « endettés » et cela de manière illimitée afin de contenir la spéculation et les taux d'intérêts exorbitants infligés aux pays « en difficulté ». Voilà qui est parfaitement contraire à un dogme monétariste jusque là intangible. Il y a peu encore, toute suggestion d'une telle intervention de la BCE ne suscitait que le mépris des économistes à gages figés dans leur arrogance et incapables de voir plus loin que leurs prébendes... Certes l'opération s'efforce de rester dans les rails de l'orthodoxie libérale : les dettes des Etats seront rachetées sur le marché, c'est-à-dire aux banques qui donc n'ont rien à y perdre et le rachat reste soumis au maintien de politiques « d'austérité » qui saignent toujours plus les peuples. Certains l'ont noté, les préconisations des ultralibéraux dans ce domaine s'apparentent exactement à celles des médecins de Molière : la saignée ! La saignée ! Ils ne connaissent que cette médication qui n'a pour résultat que d'affaiblir continûment le malade.
Le monétarisme, variation de l'économie néoclassique et ses prétentions mathématiques, consiste à contrôler la quantité de monnaie en circulation de manière à ce qu'elle n'enfle pas, tout cela sous le noble prétexte de maintenir une stabilité des prix. Il faut donc interdire aux Etats de créer de la monnaie (sauf les Etats-Unis!) ce qui augmenterait la masse monétaire et fait agiter le fantôme de l'inflation. On a donc décrété « l'indépendance » des banques centrales (celles qui créent la monnaie pour leurs Etats respectifs), en réalité leur neutralisation de façon à donner libre cours à ce que les doctrinaires appellent la « dure mais juste loi des marchés ». Pour faire bonne mesure, il faut organiser la dérégulation financière appuyée sur des billevesées théoriques comme les « marchés efficients » ou les « anticipations rationnelles », autant d'incantations martelées par la clique des dévôts. Et comme l'économie capitaliste a horreur du vide monéraire, ce sont les banques privées qui se sont retrouvées maîtresses de la monnaie avec leurs immenses dépôts mis à la disposition de la spéculation et le crédit à plus ou moins court terme qui est aussi une forme de monnaie. D'où l'endettement public et privé car, comme le dit crûment Dominique Seux dans les Echos, « la matière première de la finance, c'est la dette » et ainsi « le système financier a capté une part de la richesse au détriment des activités directement productives » (09.08.2012).
Evidemment la plupart des « experts » patentés qui s'accommodent de ce système et en vivent tout en le défendant, au nom de la « science » bien entendu, peuvent difficilement le remettre en cause, ils en tirent trop de gratifications personnelles, au moins symboliques et souvent, on l'a vu, matérielles. Ainsi ce M. Dessertine, que l'on lit régulièrement dans Sud-Ouest et qui vient de temps en temps étaler avec morgue son conformisme monétariste à la télévision, écrit que « la vraie racine du mal (est) le fait que depuis des décennies les Etats dépensent plus qu'ils n'encaissent de recettes » (08.09 2012). Air connu et refrain simpliste qui exonère la cupidité des banques et tait l'intérêt qu'elles ont à un endettement généralisé qui les fait vivre et particulièrement une dette publique qui a été méthodiquement organisée. Ce n'est pas moi qui le dit mais M. Martin Wolf, éditorialiste auFinancial Times, pas tout à fait un gauchiste donc. Martin Wolf écrit dans le Monde du 04.09.2012 à l'encontre de M. Dessertine et à propos du programme du ticket Romney-Ryan pour les élections américaines : « les priorités sont clairement d'abord, réductions d'impôts bénéficiant aux riches « créateurs de richesse », deuxièmement, réductions des dépenses et d'abord de celles en faveur des plus démunis, en dernier lieu, et de façon presque accessoire, réductions des déficits. En réalité la politique dite « Starve the Beast » (« affamer la bête ») vise explicitement à réduire les impôts de façon à accroître les déficits et ainsi justifier la réduction des dépenses ». M. Dessertine devrait lire le Financial Times. Cela nous épargnerait peut-être ses analyses à courte vue : il y a 30 ans qu'en France les comptes publics sont accablés par une politique délibérée de cadeaux fiscaux aux plus riches !
17 septembre 2012