Les rémunérations obscènes

Rarement le pouvoir de classe de la bourgeoisie aura été aussi arrogant et cynique qu'avec le sarkozysme. Dès le début c'est une guerre ouverte, impitoyable, qui a été théorisée et menée contre les pauvres. Quitte à recycler les pires clichés du XIXème siècle sur les pauvres, paresseux, profiteurs d'aides publique et privée, chômeurs par choix et se vautrant dans les 35 heures quand ils ont « la chance » d'avoir un emploi. Le ministre Wauquiez, entre autres, s'est spécialisé dans ce genre d'infamies ; même Audrey Pulvart s'est senti obligée de lui reprocher de simplement opposer les pauvres à de juste moins pauvres. Il faudrait ainsi plafonner les minimas sociaux à 75% du SMIC pour bien marquer que ceux qui en « bénéficient » sont des moins que rien. Est-ce que ce Wauquiez a seulement la moindre idée de ce que c'est que vivre avec les minimas sociaux ? Selon le même, les malheureux détenteurs du RSA seraient le « cancer de la société ». Ignoble ! On sait aujourd'hui que la majorité de ceux qui pourraient obtenir le RSA ne l'ont même pas demandé. Ce qui met à mal le dogme libéral selon lequel les pauvres se précipiteraient sur toute forme d'aide publique parce qu'ils auraient une « mentalité d'assistés ».

Cette répugnante propagande n'est que la contre-partie d'une défense et illustration « décomplexées », comme ils disent, des privilèges des riches. Les valeurs fondamentales de la droite « décomplexée » restent évidemment le mépris des pauvres et la célébration des riches et si l'expression si bien trouvée par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot de « président des riches » a été si bien reçue, c'est que la vérité finit toujours par se savoir. Quel meilleur exemple que celui analysé par le sociologue Philippe Steiner (Les rémunérations obscènes, Zones, 2011) : « Le revenu annuel moyen des PDG du CAC 40, hors stock-options et autres actions gratuites, se fixait, en 2010, à 2,4 millions d'euros ». Soit 200 000 euros mensuels. Mais qui peut bien « valoir » cela ? Comment comparer les 1 500 euros tout compris d'un ménage ordinaire à l'habituel bonus à sept chiffres d'un trader non moins ordinaire ? A l'inverse, souligne Steiner, « que signifie la richesse représentée par un tel bonus pour ce ménage ? Quatre-vingt-dix années d'activité, soit plus de deux vies de salariés travaillant quarante ans sans interruption au salaire médian français » (p.20). Comme pour les mesures astronomiques en années-lumière, l'unité de mesure est ici l'année-salaire et même la vie-salaire. Mais il paraît, selon Wauquiez, que ce sont les plus pauvres qui abusent du système.

Ne nous y trompons pas, pour la théorie économique libérale, ces monstruosités sont parfaitement légitimes parce que fondées, paraît-il, sur le « talent » et le « mérite » (on n'ose tout de même pas parler d'utilité sociale) et sanctionnées par le marché. C'est la « loi » de la concurrence qui ferair que l'on s'arrache à prix d'or ces sortes de supermen du profit que seraient donc les hauts dirigeants du capital. Philippe Steiner démontre de manière convaincante que c'est évidemment du pipeau et que, en réalité, ces éminents personnages se cooptent entre eux, à quelques dizaines, une véritable mafia où le copinage et l'arrivisme tiennent lieu de mérite et de talent. A Vivendi, le « comité de rémunération » (c'est comme ça que ça s'appelle) de Messier était composé de Jean- Louis Beffa, PDG de Saint-Gobain, René Thomas, ancien président de la BNP et Bernard Arnaud, patron de LVMH, que du beau linge dont on imagine mal ce qu'il pouvait refuser à Messier. A charge de revanche. On y reviendra.

Quant à l'utilité sociale de ces individus, elle est nulle et n'importe quel facteur de Lormont assure une tâche bien plus nécessaire au bien public que tous réunis. Leur seul souci est de garantir aux actionnaires une rentabilité à deux chiffres. L'actionnaire, autre inutile, dont le seul « talent » est d'avoir du pognon à « investir » (Ah, INVESTIR ! le maître mot de l'économisme libéral) pour s'enrichir sans rien faire, ce qui fait du rentier aujourd'hui le maître du monde. Comme c'est exaltant une société de rentiers ! Non ?

2 janvier 2012