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Rompre avec toutes les formes de libéralisme. Contribution au 34ème Congrès du PCF

Le texte de base commune adopté majoritairement réaffirme, dans sa troisième partie, la référence communiste. Il semble donc légitime d’examiner quelles ont été les conséquences de ce choix pour les deux premières parties. Ce qui devrait permettre de dégager une identité clairement repérable et, au-delà des banalités antilibérales habituelles, novatrice, dynamisante et porteuse d’espérance pour les salariés.

Il me semble qu’un texte de congrès n’est ni un catalogue de revendications immédiates (sur lesquelles tout le monde est à peu près d’accord) ni un programme de gouvernement (qui pose d’autres problèmes). Un congrès doit être le moment d’une réflexion approfondie sur les principes idéologiques et politiques qui guident l’ensemble de notre action et sur les perspectives d’avenir à élaborer pour changer la société. C’est ainsi rappeler que la lutte immédiate pour les salaires, par exemple, est légitime mais qu’elle doit toujours s’accompagner du rappel que, dans la perspective communiste, la solution véritable est dans l’abolition du salariat, sinon ce n’est que du réformisme!

Comment ne pas être alors désappointé devant la platitude d’un texte qui ne provoque aucune rupture ni ne suscite, selon moi, aucun élan, faute d’audace et d’ambition. Comment ne pas déplorer les insuffisances d’une analyse souvent superficielle. L’expérience dite de « gauche plurielle » et la participation au gouvernement Jospin (qui constituent les derniers avatars ayant conduit aux 1,93 %) sont expédiés en deux lignes et demie où il est simplement question d’une « surdité de notre part vis-à-vis du mouvement social et progressiste ». Ce qui est tout de même un peu court. Surtout quand on ne s’interroge même pas sur les causes de cette « surdité » qui aurait ainsi conduit un ministre des transports communiste (mais qui n’était pas un communiste ministre des transports: c’est tout le problème de la participation gouvernementale) à cautionner, par exemple, l’engagement d’Air France dans la privatisation!

Comment ne pas regretter le manque de vigueur et de rigueur dans la mise en cause du libéralisme économique (le capitalisme) et du libéralisme politique. Alors que le capitalisme est en crise ouverte et que, au vu de tous enfin, les principes de l’économie de marché s’effondrent, le texte ne trouve rien de mieux que de reprendre la vieille lune social-démocrate d’une « maîtrise publique... sociale... démocratique » des marchés! Autant de qualificatifs parfaitement antinomiques avec la notion même de marché! On reprend sans sourciller l’infâme notion de « marché du travail », qu’il s’agirait tout au plus de « progressivement » dépasser, sans apparemment se soucier que l’expression désigne la mise à l’encan de la force de travail, c’est-à-dire du corps et de l’esprit des travailleurs et qu’à ce titre elle devrait être bannie sans plus attendre. Faut-il rappeler que les choses existent aussi par les mots qu’on leur affecte?

Mettre en cause l’économie de marché, c’est affirmer que d’autres modes d’échanges sont possibles et que le marché capitaliste ne relève d’aucune nécessité anthropologique comme veulent le faire croire les libéraux. Des sociétés ont fonctionné sur le mode du don, de la réciprocité, de la gratuité...Le marché capitaliste est irréformable et toute forme de régulation n'est qu'un leurre, la question de la sortie du marché doit donc être posée dès aujourd’hui, en particulier en dissociant l’apport social de chacun, sous forme de travail, de ses moyens et modes de consommation, ce qui est très exactement le contraire du « travailler plus pour gagner plus » (et dépenser plus) de Sarkozy. Ceci devrait, par exemple, nous conduire à préconiser dès maintenant, au moins pour le moyen terme, diverses formes d’un principe de gratuité des grands services de consommation collective, énergie, transports, logement, eau, santé, culture, éducation, etc. Immédiatement on peut créer des espaces de gratuité et élargir ceux qui existent déjà de manière à faire reculer, en particulier dans les mentalités, ce que J.-L. Sagot-Duvauroux appelle l’empire de la marchandise. Les services publics, la sécurité sociale, la retraite par répartition constituent la preuve que l’on peut échapper à la sphère marchande, c’est bien pour cela qu’ils sont les cibles favorites des libéraux. Pour ce qui est des prix restant à fixer, l’échange inéquitable de la soi-disant loi de l’offre et de la demande pourrait être avantageusement remplacée par une transaction dont la réciprocité et la justesse serait garanties par un tiers indépendant des parties et de l’Etat, ce qui évite la gestion étatique (voir M. Decaillot, Le marché et après, La Pensée, n° 347), de manière que la valeur d’usage supplante peu à peu la valeur d’échange.. Bref, il s’agit d’aller au-delà de généralités sympathiques mais ressassées comme « une autre gestion de la production et du marché (!) des biens de consommation courante » ou « l’appropriation publique et sociale des biens communs de l’humanité » qui, à force d’être répétées, ont toute chance de passer inaperçues.

De nouvelles formes de rapports économiques et de travail imposent de nouvelles formes de rapports sociaux et politiques. D’où la nécessité d’une mise en cause parallèle du libéralisme politique lequel bénéficie souvent d’une étrange complaisance y compris, involontairement, dans le texte de base commune faute de réflexion théorique suffisante. Le texte parle d’un projet de « société d’individus libres, autonomes et (quand même!) solidaires ». Mais de quelle « liberté » et de quelle « autonomie » s’agit-il? Comment ne pas voir que ces concepts, saturés d’idéologie libérale, sont ambigus et demandent à être retravaillés. Il est urgent de déconstruire le sens donné par les libéraux à une « liberté individuelle » conçue comme une sorte de substance inhérente à une prétendue « nature humaine ». Chacun en ferait son propre usage, se rendant seul responsable de son propre destin et choisissant par un calcul rationnel de devenir SDF ou actionnaire, chômeur ou PDG! De même, il y aurait une « autonomie » des individus préexistant à toute forme de contrat alors passé à parts égales, ce qui rend la loi indésirable. Le tout sur fond de « talents individuels » dont les critères d’appréciation sont évidemment ceux du modèle de la libre-entreprise. Il est ici affligeant de voir la base commune reprendre tels quels des lieux communs du discours managérial promus par le « nouvel esprit du capitalisme » comme « l’initiative » ou « une créativité » (même libérée!) que les uns auraient et les autres pas. Tout est ici à repenser et passe par l’affirmation que la liberté et l’autonomie des personnes se construisent socialement dans des conditions déterminées et dès le départ inégales dans une société de classes, que nous ne sommes pas des individus abstraits mais des agents sociaux dont la singularité se constitue par des choix contraints dans un champ de possibles d’autant plus restreint que les dominations sont plus fortes et qu’ainsi le comble de la domination est de ne nous faire désirer que ce que nous pouvons désirer. « Refuser toutes les dominations », comme le proclame la base commune est bien, encore faut-il en comprendre les mécanismes, en particulier que la socialisation dans une société de classes tend à susciter l’adhésion des dominés à leur propre domination, ce qui devrait avoir des conséquences sur les modalités de l’action d’un parti révolutionnaire.

Il est également bien d’avancer une notion comme celle de « démocratie participative ». Même si l’expression n’est pas heureuse, c’est un des passages les plus prometteurs du projet, à condition d’en préciser encore davantage le contenu. Mettant implicitement en cause le fonctionnement de la démocratie libérale (dont on nous martèle que c’est la forme la plus achevée de la démocratie), cela irait mieux en le disant explicitement: le principe de la démocratie libérale est strictement élitiste. Lorsque la fiction démocratique d’une république uniquement gouvernée par les propriétaires, telle que la voulait le libéralisme classique, n’a plus été possible, tout l’effort de la bourgeoisie a consisté à limiter, contenir, édulcorer voire détourner la souveraineté d’un peuple toujours stigmatisé comme ignorant et incapable. En démocratie libérale, le but du suffrage n’est pas l’expression de la volonté populaire mais la soumission à la domination par l’adhésion des masses à des règles du jeu politique déterminées par les dominants D’où l’importance de la création d’un parti communiste dans les années 20 permettant à la classe ouvrière de se doter d’un personnel politique autonome. Malheureusement celui- ci a été contaminé par une autre perversion de la démocratie libérale, le caractère délégataire de la représentation où le rôle de l’électeur n’est pas de dire ce qu’il veut mais de choisir ceux qui seront censés dire ce qu’il veut. Ainsi installée depuis plus de deux siècles dans les mentalités, la délégation de pouvoir reste un de obstacles les plus importants à une authentique participation citoyenne et un des meilleurs garants de la domination politique

Une véritable démarche communiste doit assumer une rupture réfléchie et expliquée mais radicale avec tous les principes et pratiques du libéralisme sur tous les plans, économique, social, politique, éthique... Libérer l’humanité de sa servitude séculaire passe impérativement par la subversion des formes qu’elle prend aujourd’hui et l’on ne saurait moraliser, réformer ni même seulement « dépasser » un système qui, comme le dit le philosophe Alain Badiou, « remet l’organisation de la vie collective aux pulsions les plus basses, cupidité, rivalité,égoïsme ».

Gérard LOUSTALET-SENS

Contribution pour le 34ème Congrès du PCF, 3 novembre 2008 .