Le mélenchonisme : un « label » !

     Il arrive à J.L. Mélenchon de se réclamer du matérialisme historique. Il n'ignore pas non plus la lutte des classes mais il en apparaît assez embarrassé. Délaissant l'approche sociologique, la structure de classes de la société disparaît dans un discours prophético-planétaire quelque peu emphatique. La lutte des classes se réduit alors à une contradiction simpliste entre ce qu'il appelle l'oligarchie et ce qu'il désigne comme le peuple quand ce n'est pas l'obscure distinction qu'il emprunte à la philosophe Chantal Mouffe entre un « Eux » et un « Nous », formulation qui peut s'appliquer à tous les cas, même les plus nauséeux du genre « Eux » les immigrés et « Nous » les « Français de souche » ! Par ailleurs, il faut reconnaître qu'un essai comme L'Ere du peuple ne manque pas d'ambition théorique même s'il paraît parfois un peu court : parler d'anthropocène et d'homo urbanus ne produit pas forcément une analyse authentiquement scientifique.

     Cela étant, il faut bien ajouter que la pratique politique du mélenchonisme ne se distingue pas particulièrement par un excès de subtilité. Que dire de cette stratégie rudimentaire du « dégagisme » sinon que c'est vraiment le degré zéro de l'action politique ! Comme s'il suffisait de remplacer un personnel politique perverti par un autre vertueux pour changer la société. C'est une vision typiquement social-démocrate. Comme si ce n'était pas au processus inverse qu'il fallait s'attaquer ! Précisons également comme autre filiation, que, en France, ce fantasme du « dégagisme » a une histoire : c'est une notion fascisante. C'était le cri de ralliement des émeutiers d'extrême-droite de février 1934 et celui de Poujade puis du CID-UNATI dans les années 70. Quant aux desseins hégémoniques de la France insoumise, ils sont euphémisés d'une façon curieuse. Répondant sur son blog (02.11.2016) au compte-rendu de son débat avec Chantal Mouffe (21 .10.2016) paru dans l'Humanité (31.10.2016), compte-rendu qu'il juge d'ailleurs aimable, J.L. Mélenchon précisait que « la France insoumise n'est pas un parti comme les autres, c'est un label commun pour une action commune ». Un « label » ! C'est-à-dire une marque comportant un cahier des charges afin de garantir l'origine et la qualité du produit. Avec le label FI, devinez qui va contrôler la conformité au cahier des charges ? Qui va accorder son agrément à l'utilisation du label ? C'est un peu gros mais ce n'est pas une plaisanterie, les insoumis corses s'en sont aperçus.

      On sait que J.L.Mélenchon affecte de s'inspirer des thèmes politiques latino-américains et sa démarche ne manque pas de traits communs avec ce que fut l'expérience péroniste : populisme au-delà de la droite et de la gauche, hégémonisme, autoritarisme, culte du chef, idéologie interclassiste... Cette dernière est ainsi apparue en fin de campagne présidentielle avec l'utilisation de la niaise expression « les gens », recyclée de Robert Hue, c'est dire, et qui est la négation même de la lutte des classes. On notera que Inigo Errejon, de Podemos, revendique également cette appellation, « les gens », alors que Chantal Mouffe est plus que réservée : « les gens (comme vous les appelez) ne sont pas par nature dans l'opposition à la caste », dit-elle à Errejon (Construire un peuple, Editions du Cerf, 2017, p.201). Errejon, lui, voit se créer une « situation de latino-américanisation politique » (p.148), sauf que la notion de populisme qu'il défend, telle qu'elle a été réactivée par Ernesto Laclau -qui est argentin-, relève d'une tradition politique latino-américaine qui n'a rien d'un modèle et dont la transposition en Europe paraît assez saugrenue...

     Ainsi, le peuple, ce serait « les gens ». Etonnante pauvreté théorique où l'objet peuple, privé de l'analyse marxiste, s'avère dépourvu de consistance si bien qu'il paraît plus aisé de le définir par ce qu'il n'est pas. On l'oppose habituellement à l'élite ou aux élites, voire aux élites intellectuelles dont quelques tartuffes déplorent régulièrement l'éloignement du peuple (Jacques Julliard, La faute aux élites, Gallimard, 1997). J.L. Mélenchon ne parle pas d'élite mais d'oligarchie, substantif martelé à longueur de pages comme contrepoint à un peuple qu'il affirme comme une « réalité sociologique » -l'ére du peuple se substituant à l'ére de la classe- qu'il postule davantage qu'il n'en démontre l'existence. Quant au mot oligarchie, gouvernement d'un petit nombre, il n'informe pas sur la nature d'un pouvoir qu'on ne saurait réduire au « capitalisme financiarisé », même éloquemment dénoncé par J.L. Mélenchon. (A suivre).

 

NIR 196. 7 janvier 2018