De l'école II : les impostures du modèle républicain
J'ai toujours été étonné de la fortune de ce lieu commun simpliste de l'ascenseur social, leurre parfait du système méritocratique républicain. D'ailleurs, si l'on veut vraiment filer la métaphore, on sait bien que le nombre d'individus dans un ascenseur est forcément limité. Il faudrait donc jouer des coudes pour y entrer... C'est une forme de la sélection « naturelle » chère au darwinisme social.... L'image anodine de l'ascenseur n'est ici que le masque d'une violence symbolique, celle de l'exclusion, le système ne faisant que repérer quelques individus méritants des basses classes, susceptibles d'intégrer l'élite, pour mieux rejeter tous les autres. Il n'y a jamais eu d'ascenseur social, mais -image pour image- une pente escarpée, semées d'embûches, pour quelques rescapés soustraits à une plèbe inculte !
C'est peu dire que j'ai été consterné de lire dans un éditorial de Patrick Le Hyriac que « de longue date, la France s'est dotée, avec l'école républicaine, d'un système scolaire qui a permis à des générations de s'élever dans la société » (HD, 19.12.2013)... « S'élever dans la société » ! Que vient faire ici ce vieux cliché exténué de l'idéologie bourgeoise du XIXème siècle ? Ainsi donc, quitter les rangs de la classe ouvrière pour devenir commerçant, professeur ou cadre, jamais guère plus, ce serait « s'élever dans la société » ! Ce qui est cautionné ici c'est la conception bourgeoise de l'existence et de la nécessité d'une hiérarchie sociale « naturelle ». Caution involontaire, sans aucun doute, il faut écrire vite et, faute d'avoir pris le temps de réfléchir à la question, les lieux communs piégés viennent facilement sous la plume. Tout de même, la persistance d'obscures illusions, sous prétexte de miettes jetées au peuple, sur un système structurellement et de toujours au service des dominants est préoccupante.
De même, dans l'éditorial déjà cité (l'Humanité, 04.12.2013), Paule Masson déplore que « le chacun-pour-soi se substitue au chacun-sa-chance », sans se rendre compte que c'est exactement la même chose ! Ce qui est accepté ici sans examen et, peut-être, sans le savoir, c'est cette autre imposture du système méritocratique républicain qu'on appelle égalité des chances. C'est une duperie qui ne sert qu'à légitimer les inégalités de réussite à la sortie du système en postulant (faussement) que tous seraient à égalité en y entrant. C'est donner une forme morale à la méritocratie alors qu'il ne s'agit que de la forme scolaire du dogme de la compétition qui est au cœurde l'idéologie bourgeoise libérale. L'égalité des chances n'est qu'un autre nom du principe fameux de la « concurrence libre et non faussée ». Une anecdote pour l'illustrer. Il y a quelques décennies, une inspectrice générale des écoles maternelles -ce qui n'est pas rien- nommée Mme Delauney, épouse du préfet Delauney et mère de qui l'on sait, pouvait proférer avec assurance cette sottise : l'école, c'est comme la course à pied, il faut bien un premier et tout le monde n'est pas Mimoun (sic) ! Je crains que pour certains on en soit encore là.
On n'a ici qu'une version particulièrement niaise d'une idéologie des dons que l'on sait aujourd'hui largement controuvée. On parle alors souvent d'enfants de milieux favorisés et d'enfants de milieux défavorisés en guise d'explication passe-partout... Mais favorisés et défavorisés par rapport à quoi ? Par rapport tout simplement à une norme scolaire qui est calquée sur les pratiques culturelles des classes dominantes. Les enfants de milieux dits favorisés arrivent avec un certain nombre de ressources, de manières d'être, de compétences qui sont exigées par l'école sans y être jamais enseignées. Pour les enfants de milieux dits défavorisés, l'école est le plus souvent un univers vaguement inquiétant dont ils perçoivent l'importance sans en connaître les détours. La disposition d'appropriation réfléchie des savoirs demandée par l'école n'a rien de spontanée. Faute de formation adéquate, les enseignants croient pouvoir se dispenser d'expliciter ce qui leur semble être des évidences... Les malentendus s'installent... Les difficultés se structurent... On va voir comment.
12 janvier 2014