De l'école I : Vive PISA !
Les néoréacs sévissent aussi dans l'éducation. Et depuis longtemps ! En tête de gondole, l'inévitable Finkielkraut, champion toutes catégories du « C'était mieux avant ! » L'occasion d'en reparler : les nouveaux résultats du Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves (PISA) établis tous les 3 ans par l'OCDE. Les moyennes de performances sont anecdotiques et d'un intérêt relatif : que l'on ait isolé Shangaï, une capitale mondiale de la finance, pour lui donner la première place ne dit hélas rien du reste de la Chine ! Non, le plus intéressant pour ce qui concerne la France, c'est le constat des vertigineuses inégalités que produit notre système scolaire. Il est de bon ton de feindre de s'en alarmer. Et pourtant le triomphe de l'élitisme que traduit l'écart observé n'est que l'accomplissement de l'objectif expressément assigné à notre fameux modèle républicain de l'école. L'école républicaine n'a jamais été autre chose que l'instrument d'une impitoyable sélection des élites appelées à diriger les affaires du pays. Bénéfice secondaire, en scolarisant l'ensemble des petits Français, on se donnait les gants de rechercher même dans les classes inférieures les quelques élus dignes de rejoindre le camp des élites bien nées. C'est le principe de la méritocratie, un leurre indigne et fallacieux auquel on fait encore semblant de croire.
Certains se rappellent peut-être les réactions outrées des beaux esprits lorsque parut, en 1970, La Reproduction. Eléménts pour une théorie du système d'enseignement de Pierre Bourdieu et Jean- Claude Passeron. Révélation devenue aujourd'hui banale : non seulement l'école républicaine reproduit les inégalités sociales mais elle les rend légitimes par la marque hautement symbolique du diplôme, stade suprême de la méritocratie. Indignation : comment osait-on ainsi médire d'une aussi noble institution et de ses desservants zélés! On parle beaucoup en ce moment du sommet de la pile méritocratique, les fameuses classes préparatoires aux grandes écoles : elles sont la caricature absolue de l'élitisme républicain, recrutant les élèves dans les milieux les plus au fait des pratiques de la culture légitime et disposant d'enseignants surpayés sur le seul critère des savoirs académiques... Il y a bien sûr, pour la gloire de la doctrine républicaine, l'alibi coutumier de quelques miraculés des quartiers dits difficiles, filtrés et exfiltrés du système et dont on va compassionellement célébrer la rareté du parcours dans des termes où la componction voisine avec un rien d'effroi.
Bourdieu et Passeron, faisant voler en éclats le mythe de « l'école libératrice », on les accusa de tous les maux comme on éxécutait en Grèce les porteurs de mauvaises nouvelles. Ils allaient, paraît- il, décourager ces pauvres enseignants jugés incapables de réfléchir sur le rôle prétendûment autonome que leur confère le système dans l'inculcation d'un arbitraire culturel fondé sur l'intangibilité de l'ordre social. Depuis, de nombreux travaux de sociologie et de psycho-pédagogieont montré quelle violence symbolique se fait jour au cœur même de l'action pédagogique. C'estdans les pratiques quotidiennes de la classe que se construit à l'insu de tous la ségrégation scolaire puis sociale sous couvert d'acquérir un minimum de savoirs scolaires, ce que l'on appelle aujourd'hui de façon honteusement restrictive le «socle commun de connaissances et de compétences », socle que la majorité des élèves sont jugés a priori inaptes à dépasser. Ce fatalisme socio-culturel que pratique l'école, ce sont Bourdieu et Passeron qui en furent accusés, comme si dévoiler les mécanismes de la domination impliquait de s'y résigner, comme si l'efficacité de la reproduction des inégalités sociales à l'école ne résidait pas, justement, dans l'impensé de son fonctionnement !
On peut regretter que de telles évidences soient encore méconnues ou mal connues si j'en juge par un récent éditorial de Paule Masson dans l'Humanité (04.12.2013)... Elle écrit que « le système français ne parvient plus à agir sur les déterminismes sociaux ». Sauf que cela n'a jamais été ni son rôle ni son résultat. Répétons-le, le système français ne sert qu'à trier et former le gratin des futurs dominants politiques, économiques, intellectuels lesquels sont recrutés pour l'essentiel parmi les rejetons des dominants actuels. Paule Masson semble encore dupe de la fable de « l'ascenseur
social ». On va en dire un mot... 16 décembre 2013