Histoire de la Résistance. "Chronique d'un résistant ordinaire en Gironde et Lot-et-Garonne" par Jean-Claude Laulan
L'histoire générale de la Résistance est, dans l'ensemble, assez bien connue. Mais la Résistance ce ne fut pas seulement de hauts faits d'armes, des parachutages, des trains qui déraillent ou la geste gaulliste. Ce fut aussi une multitude d'actes quotidiens, discrets ou audacieux, mais toujours dangereux. Beaucoup de leurs auteurs, restés souvent anonymes, l'ont payé de leur vie. Leur souvenir s'estompe. C'est l'histoire de l'un d'eux que Jean-Claude Laulan a reconstituée, celle de son oncle André. Loin de toute œuvre pieuse, JCL a évité l'écueil d'un banal devoir de mémoire moralisateur et a effectué un authentique travail de mémoire fondé sur l'évidence du désir de savoir.
Une biographie exemplaire
Exemplaire non pas au sens d'édifiante ou idéale mais de représentative des biographies virtuelles de milliers de Résistants du quotidien oubliés dans les archives. Cette exemplarité n'est cependant pas exclusive d'un singularité dont JCL va donner les traits.
L'entrée d'André Laulan dans la Résistance n'a rien d'un hasard ni d'une révélation. Responsable de l'Union des Jeunesses Agricoles de France (UJAF), créée par les Jeunesses Communistes, son engagement dans l'action illégale n'est alors que le prolongement logique, sans solution de continuité, une suite naturelle, peut-on dire, de son militantisme communiste. Le lieu n'est pas n'importe lequel, c'est ce Réolais, terre rurale de gauche, qui a vu passer les magnifiques frères Faucher, généraux de la Révolution, ignominieusement exécutés, en 1815, par la Restauration. Dans le Réolais, c'est le village de Puybarban où la ferme des Laulan, « La Pycharde », sera une véritable entreprise familiale d'hébergement de clandestins. Le détail de l'action clandestine d'André n'est pas facile à cerner. Il valait mieux ne pas laisser trop de traces. Ainsi, par exemple, grâce aux Archives départementales de la Haute-Garonne, JCL peut établir la réalité, jusqu'alors incertaine pour la famille, du sabotage de l'écluse de Hure, sur le canal latéral à la Garonne, le 24 septembre 1942 mais, en historien scrupuleux ne peut confirmer qu'André y ait participé bien que la police l'en est soupçonné, soupçon qui sera«le premier maillon de l'arrestation d'André». Par contre, ses responsabilités dans la réorganisation du Parti communiste et son rôle de liaison, en particulier avec les FTP, sont avérés. Risque majeur : la trahison. Le tristement fameux Giret sera hébergé à la Pycharde. On sait que, arrêté, il se mettra à la disposition du tortionnaire Poinsot puis de la Gestapo de Dohse.
C'est sur la dénonciation de René Sacriste (par haine de son oncle Léopold) et du milicien Raoul Bergadieu qu'André est arrêté, le 28 mai 1943. Par la gendarmerie française. Commence alors la terrible épopée. JCL en fait un récit puissant -mais toujours documenté- dont on se détache difficilement. André est interné à la Maison d'arrêt de La Réole. Le réquisitoire du procureur accuse André de propagande communiste, d'assistance à personne recherchée, de soustraction de tickets d'alimentation. La Section spéciale d'Agen condamne André à 18 mois d'emprisonnement, son camarade Léopold Sacriste à 6 mois, ses parents à 8 mois avec sursis.
C'est le passage à la Centrale d'Eysses, le 22 novembre 1943. JCL consacre 6 chapitres aux luttes extraordinaires menées dans la Centrale, l'organisation, la solidarité (« l'esprit d'Eysses ») jusqu'à la bataille d'Eysses et pas seulement un soulèvement, en février 1944. Elle est perdue de peu. Douze combattants sont exécutés le 23 février, tous communistes. Ici aussi le récit fait palpiter l'histoire tandis que les lettres d'André, ici reproduites et tirées des archives familiales, avec les détails de la vie quotidienne, son souci du travail de la ferme, sa sollicitude constante pour son neveu Jean- Claude, donnent chair et consistance à son destin et gomme tout effet d'icône.
Le périple tragique va se poursuivre. André est transféré à Compiègne puis déporté à Dachau le 18 juin 1944. Il passe par Flossenburg pour arriver à Hersbruck le 23 juillet. Il y restera 3 mois avant le départ définitif pour Bergen Belsen où il meurt le 10 novembre au moment où la 2ème DB libère Strasbourg. JCL fait le récit impitoyablement informé du calvaire de la déportation, convoi, camp d'extermination, camp de la mort... L'hallucinante description des conditions d'internement à Hersbruck – un camp finalement peu connu-, empruntée à l'ouvrage Eysses contre Vichy 1940/... de l'Amicale des Anciens d'Eysses, sidère et accable toujours quand bien même en ait-on lu d'autres. On peine à imaginer l'horreur de l'ultime voyage d'André, de Hersbruck à Bergen Belsen, 500 km traversant l'Allemagne du sud au nord...
Une démarche historienne
JCL a lui-même établi qu'André était bien mort à Bergen Belsen et non à Hersbruck comme il en avait été fait officiellement mention (Archives du Ministère de la Défense). C'est dans les Archives ITS de Bad Arolsen (Service international de recherches sur les victimes des persécutions nazies) qu'il a découvert l'acte de décès qu'il reproduit en annexe. Ceci pour signaler l'étonnante maîtrise, digne d'un historien chevronné, qui se manifeste ici : recherche, collecte, critique, recoupement et synthèse des sources, tous les outils de l'historiographie sont efficacement mobilisés jusqu'à voir l'auteur s'effacer volontairement derrière les témoignages
Mais cet auteur est bien là, on en perçoit souvent le frémissement qu'il a choisi pourtant de sublimer dans des poèmes d'Aragon qui closent plusieurs chapitres. On se surprend à (re)découvrir avec quelle justesse la beauté des vers d'Aragon peut transposer une réalité comme celle décrite par JCL, on s'émerveille du poids d'universalité qu'elle donne à la voie suivie par André.
Sur le plan de l'édition, on appréciera l'apport considérable des 84 documents reproduits, l'indispensable index des près de 300 noms propres et 6 pages d'une chronologie précise et efficace. On regrettera, par contre, l'absence d'une bibliographie générale récapitulant des sources et des ouvrages dont les références sont cependant présentes en notes de bas de page.
Une portée actuelle
Au moment où les conquêtes du Conseil National de la Résistance sont ouvertement remises en cause par le cynisme libéral, il est objectivement salutaire de montrer ce qu'elles ont coûté, jusqu'au sacrifice d'aussi admirables jeunes gens qu'André Laulan. JCL mentionne d'ailleurs que cette remise en cause a commencé subrepticement dès 1946 !
On sait qu'il est à la mode chez certains de pleurnicher sur les « horreurs » de l' « épuration ». On notera simplement que les dénonciateurs d'André, René Sacriste et Raoul Bergadieu, après un semblant d'enquête, s'en sont parfaitement tirés. Le père d'André a bien rencontré un certain colonel Thinières. En vain. Un personnage trouble que ce Thinières, passé sans coup férir de Vichy à l'OCM, mouvement de résistance de droite. C'était donc un compagnon de Grandclément dont la trahison se fit, on le sait, sur fond d'anticommunisme. Il s'agissait, ni plus ni moins, JCL le rappelle, d'un projet de renversement des alliances auquel participa Thinières, Allemands et réseaux de droite s'associant pour se débarrasser des communistes. Le père d'André n'avait décidément pas frappé à la bonne porte.
Une dernière remarque. L'extraordinaire organisation au service d'une solidarité sans faille mise en place par « Ceux d'Eysses » ne fut-elle pas un laboratoire exceptionnel, dans des conditions extrêmes, d'un principe anthropologique que l'on redécouvre aujourd'hui, à l'encontre de tous les dogmes libéraux : c'est la coopération qui est le fondement de toute société humaine et non la concurrence ?
On mesure ici tout l'intérêt de l'ouvrage sur les plans historique et humain mais aussi intellectuel et politique.
*Jean-Claude Laulan, Chronique d'un Résistant ordinaire en Gironde et Lot-et-Garonne, Editions Pleine Page, 2012, 364 pages, 20euros.