22ème Festival du Film d'Histoire de Pessac. Un prix discutable et un chef-d'oeuvre ignoré
C'est un double Prix, du Jury et du Public, qu'a donc obtenu La Conspiration, film de Robert Redford. Autant le dire tout de suite : c'est tout à fait excessif. La Conspiration est un bon film américain, solide, bien construit, fondé sur une habileté narrative certaine et disposant de moyens conséquents. Cela se laisse voir, mais, enfin, rien qui puisse bouleverser l'art cinématographique. Le cadre du procès comme source de dramatisation, c'est quand même une vieille ficelle : que le public marche est une chose, qu'il en soit de même de la part d'un jury supposé averti est assez navrant, d'autant que le traitement en est ici très académique. Procès, donc, des conjurés de l'assassinat du président Abraham Lincoln et surtout de la mère de l'un d'eux qui, malgré sa faible implication dans le complot, doit être condamnée au nom de la raison d'Etat. Comme souvent dans le cinéma américain, c'est un justicier solitaire, son avocat, qui tentera de la sauver. Célébration idéologique de l'individu seul contre tous et porteur proclamé des valeurs américaines : l'archétype en est le magistral western de Fred Zinneman, Le train sifflera trois fois. L'ambiguïté est qu'ici, en fait, le gentil comme les méchants, l'un, l'avocat, avec noblesse, les autres, juges militaires et pouvoir, avec cynisme, défendent les mêmes valeurs : la nation, le drapeau, les vertus supposées universelles de la Constitution américaine. Pour ce qui est de l'interprétation historique très contestable de l'attentat, je renvoie à ce qu'en dit Pap Ndiaye (Le Monde, 25.11.2011). Il paraît que le film ne serait pas distribué en France en raison de son caractère trop « américain » qui n'intéresserait pas le spectateur français ; ce serait sans aucun doute regrettable et le public de Pessac a montré le contraire mais le diagnostic d'histoire strictement américaine est parfaitement exact.
Autrement plus sincère et émouvant sans roublardise me paraît être Oranges and Sunshine. Le jury du Prix étudiant ne s'y est pas trompé. Ce film de Jim Loach (le fils de Ken), encore imparfait sans doute, évoque les 130 000 enfants déportés d'Angleterre en Australie entre 1930 et 1970. Le prétexte : des parents jugés indignes et surtout pauvres. Une occasion de rappeler l'exceptionnelle férocité du racisme de classe cultivé dans la haute bourgeoisie et l'aristocratie britanniques. Les enfants arrachés à leur famille rejoindront la superbe bâtisse des Frères chrétiens à Bidoon et seront soumis à toutes les formes habituelles, y compris sexuelles, de maltraitance. Ils feront tant bien que mal leur vie en Australie. Une assistante sociale, presque par hasard, découvre les faits et entame un long combat pour permettre aux prétendus orphelins devenus adultes de retrouver leurs parents. Le film est son histoire, d'un humanisme absolu, déchirante sans démagogie. Du grand et beau cinéma.
Le meilleur film de la sélection, cependant, c'est bien Bruegel, le Moulin et la Croix du Polonais Lech Majewski. Il est incompréhensible qu'il n'ait pas été distingué. Un film authentiquement d'histoire et d'une prodigieuse invention. Nous sommes en 1564 en Flandres sous occupation espagnole. Le tableau de Bruegel, « Le Portement de croix », et son fourmillement de personnages vont s'animer sous nos yeux en une fresque historique à la fois monumentale et intimiste. De la quotidienneté villageoise, avec des éclairages d'intérieurs dignes de Le Nain, aux dépouilles des suppliciés exposées aux corbeaux, le XVIème siècle prend corps sous notre regard. Les procédés techniques permettent une profondeur de champ qui nous fait entrer dans le tableau. Nous sommes ces paysans flamands, nous partageons leurs heurts et malheurs dans l'ombre tutélaire du moulin érigé sur un piton rocheux à plusieurs dizaines de mètres de hauteur et d'où le meunier contemple l'ici-bas comme Dieu entre les nuages. C'est fascinant et d'une créativité et d'une beauté chaleureuse admirables. De quoi être intarissable... Et merci à François Aymé de nous l'avoir fait connaître .
D'autres films méritaient d'être distingués, comme L'Empire des Rastelli de l'Italien Andrea Molaioli, dans la lignée du grand cinéma italien des années 60 et 70 engagé par la seule force de ce qu'il montrait. On pense à Francesco Rosi... On pense aussi, même si L'Empire des Rastelli est sans doute un cran au-dessous, au chef d'oeuvre qu'est Il Divo vu aussi au Festival (et à la télévision récemment). D'ailleurs le comédien Toni Servillo, qui avait composé un extraordinaire Andreotti dans Il Divo, a aussi le rôle principal dans Rastelli. C'est l'histoire de la splendeur (apparente) et de la chute de l'entreprise Leda (l'affaire Parmalat) : magouilles, corruption, concussion, malversations diverses et étranglement final par les banques. Tout l'esprit du capitalisme et de la vocation entreprenariale incarnés par Ernesto Botta, âme damnée de Rastelli, magnifiquement interprété par Toni Servillo...
El Premio de l'Argentine Paula Markovitch est, comme on dit, un film exigeant et même éprouvant. Une jeune femme et sa fille de 7 ans se cachent de la dictature militaire, elles ont trouvé refuge dans une cabane sur une plage isolée et lugubre, dans une nature hostile, harcelées par un vent lancinant, vivant dans une angoisse permanente que la réalisatrice nous fait quasi physiquement ressentir... La fillette, Ceci, veut aller à l'école proche. Elle est très bonne élève. Les militaires lancent un concours de rédactions patriotiques. Ceci l'emporte après une péripétie dramatique qu'on laissera au spectateur le soin de découvrir. Il faut voir la remise des prix et ces pantins à moustaches en uniforme, grotesques dans ce qu'ils croient être leur importance. Un film dur mais salutaire et une étonnante petite comédienne, Paula Galinelli Hertzog.
Le réalisateur tchèque Stan Neumann est, à l'évidence, en empathie avec Johann Kepler.L'Oeil de l'astronome fait appel à l'intelligence, c'est un beau film sur le savoir et le rôle de l'intellectuel face à l'obscurantisme de l'Eglise et aux tentatives d'instrumentalisation des pouvoirs. Kepler a droit à dix nuits d'observation à l'aide du télescope confié par Galilée. Neumann fait en creux un curieux portrait de celui-ci, mesquin, retors, soucieux de son statut surtout par rapport à un Kepler (superbe interprétation de Denis Lavant) plein d'innocence, de désintéressement et de passion du savoir. Bien sûr le film n'illustre pas le thème de la « Conquête du pouvoir » (faut-il répéter que les films en compétition ne sauraient se rattacher systématiquement au thème général du Festival) mais bien la conquête du savoir. Et c'est peut-être plus important. Voilà une question, si je puis me permettre, qu'un prochain Festival pourrait programmer.
En se lançant dans un pan de l'histoire de la psychanalyse, Cronenberg a fait un pari ambitieux.A Dangerous Method est l'histoire du rapprochement puis de la rupture entre Freud et Jung sur fond d'intrigue amoureuse assez violente mais sans doute surévaluée entre Jung et une de ses patientes, Sabina Spilrein. On sait que Jung n'a jamais vraiment accepté chez Freud la pulsion sexuelle comme source des manifestations de l'inconscient. Peut-être parce qu'il y cédait, par l'adultère, dans le doute et la culpabilité. Il finira dans le mysticisme et l'ésotérisme. Cronenberg fait un Freud très vraisemblable et un Jung tourmenté. Le problème est que l'histoire paraîtra compliquée pour les non-initiés et trop simple pour les spécialistes... Les références sont tantôt trop elliptiques, tantôt trop attendues comme le fameux propos de Freud débarquant en Amérique : « ils ne savent pas que je leur apporte la peste ».
Puisqu'on en est aux réserves, il faut ici dire un mot de Ici-bas de Jean-Pierre Denis et écarter un malentendu : ce n'est pas un film sur la Résistance en Périgord. C'est la description d'un cas clinique, celui de la religieuse Sœur Luce, qui aurait pu se dérouler dans bien d'autres contextes. Il s'agit d'une névrose, une pathologie de la frustration et du manque et, lorsque l'objet du désir (ici l'assez peu sympathique Martial) vient à se dérober, l'Eros cède à la pulsion de mort qui conduit à la destruction de l'objet (la dénonciation) et à l'autodestruction du sujet (condamnée, Sœur Luce refuse la vie sauve). On retiendra la qualité de la reconstitution du contexte aussi contingent soit-il et la savante progression dramatique.
Le film de Myriam Keshavarz, En secret, dénonce l'emprise accablante de l'intégrisme chiite sur la société iranienne. On peut cependant se demander si le fait de situer l'intrigue dans une jeunesse dorée qui, apparemment, ne se prive pas de grand chose, fut-ce clandestinement, ne désamorce pas quelque peu le propos. De même l'obsession scoptophilique du régime, cette obsession de voir, épier, surveiller, espionner, n'est-elle pas relativisée par le propre voyeurisme du spectateur devant les ébats et jeux supposés interdits de deux filles aussi superbes que les deux jeunes comédiennes Nikohl Boosheri et Sarah Kazemy ? Enfin dans La Désintégration de Philippe Faucon, il faut lire dés-intégration. La première partie, la discrimination vue par les discriminés, est prometteuse. La deuxième est moins convaincante et, malgré les dénégations de l'auteur, frôle le sréréotype islamophobe. La séquence discrimination---intégrisme---terrorisme dont l'occurence, il faut quand même le dire, est en France, rarissime, apparaît ici comme fatale. Ce glissement, supposé inévitable, est l'argument massue de toutes les pulsions anti-musulmanes (tous des terroristes potentiels!), d'autant que le film montre, face à l'islamisme radical, le peu de poids de l'Islam modéré (normal?) de l'imam et de la mère d'Ali, un des conjurés. A partir de là, on tombe dans un certain simplisme : la formation suggérée en Afghanistan, les 4X4 rutilants (payés par qui?) mis à la disposition des terroristes... Et pourquoi avoir fait à ce point la tête de l'emploi au comédien qui joue Djamel, le manipulateur malfaisant ?