21ème Festival du Film d'Histoire de Pessac. L'Algérie primée

Sélection sans doute inégale mais, comme toujours, avec de vraies trouvailles pour le Prix du Film d’histoire au 21ème Festival de Pessac. Le Prix est revenu à Voyage à Alger, un beau film d’Abdelkrim Bahloul. Dès les premières scènes, un militant du FLN enchaîné est amené près de son village sous prétexte de libération et abattu dans le dos par la soldatesque française. S’en suivra le long combat de sa veuve (Samia Meziane, magnifique) pour faire valoir ses droits et ceux de ses enfants dans l’Algérie libérée. Un Européen libéral qui a assisté impuissant à l’assassinat de son mari lui a fait don de sa maison, à Saïda, en partant. Un brigadier de police opportuniste et planqué se l’ai faite attribuer par la mairie. Mais une veuve de chahid (martyr) ne se laisse pas faire. Elle ira à Alger demander à voir Ben Bella, sera finalement reçue par un officier supérieur où l’on reconnaît Boumediene. Justice lui sera rendue. Reste à pardonner à l’imposteur menacé d’exécution sommaire, ce à quoi elle se refuse. C’est Kadirou, son jeune fils, qui donnera la clé d’un leçon hautement morale et politique : « on peut pardonner parce qu’on a gagné! » Le film montre au moins que le pouvoir révolutionnaire mis en place dans l’Algérie indépendante sous Ben Bella semblait attentif aux revendications populaires. Paradoxalement, le réalisateur, dans le débat, sur une question que je posais, se montra en retrait par rapport à son propre film, déniant à Ben Bella une stature de chef d’Etat, lui préférant Ferhat Abbas. C’est une opinion.

Est-ce un hasard, les films les plus intéressants de la sélection ont sans doute été ceux dont les personnages principaux sont féminins. Cigarettes et bas nylon est une très jolie comédie douce-amère et plus amère que douce qui vaut mieux que son titre. Le réalisateur Fabrice Cazeneuve a associé Jean-Claude Grumberg au scénario. C’est l’histoire de Françaises ayant épousé en 1944 des militaires américains et dont l’accueil aux USA va s’avérer problématique. Réticences et désillusions vont se succéder. Malgré le conditionnement à l’hymne et au drapeau, on n’adapte (ni n’adopte) pas comme ça, aux States, des Françaises réputées légères et pas très propres. C’est comme on vous le dit!

Tragi-comique, le film polonais de Borys Lankosz, Tribulations d’une amoureuse sous Staline, dynamite les règles de ce qui tend à devenir un genre fait de lieux communs sur ces sociétés de l’Est autrefois, vous savez, grises et suspicieuses... Avec Lankosz, les victimes ne sont plus celles qu’on attend et c’est jubilatoire tout en étant politiquement sans concession. Le trio grand-mère/mère/fille est remarquable avec mention spéciale à Agata Buzek (Sabine).

Une guerre, film russe de Vera Glaboleva, est magnifique et pouvait prétendre au Prix. Un groupe de femmes et leurs enfants de pères allemands sont déportés dans une île lointaine. Elles survivent dans des conditions extrêmes en vendant le produit de leur pêche. Un major de l’Armée rouge survient pour les transférer et non les libérer. Il semble inflexible ; sa famille a été massacrée par des nazis estoniens. Moment sublime, apprenant la victoire, les reléguées chantent spontanément l’hymne soviétique! Le conflit entre la raison d’Etat et la raison humanitaire sera tranché...

Dans le film de l’Argentin Diego Lerman, L’oeil invisible, le personnage de Maria Teresa est comme une métaphore de l’Argentine sous la dictature, soumise et conformiste, traumatisée et violentée et le geste final de Maria est plus une révolte archaïque qu’une prise de conscience. Le film est tendu et sombre, la frustration sexuelle y est une métonymie de tous les interdits imposés aux dominés pour le plus grand bénéfice des dominants.

Le film japonais de Kôji Wakamatsu, Le Soldat dieu, met en scène le lieutenant Kurokawa, rapatrié amputé des quatre membres, défiguré et dépourvu de parole intelligible. On pense évidemment ici au Johnny Got His Gun de Dalton Trumbo. Les deux films sont violemment antimilitaristes, mais le propos n’est pas le même. Victime de guerre, Kurokawa s’avère être aussi un criminel de guerre (les viols en série des Chinoises). Mais pour tous, c’est un héros de guerre qui doit être honoré comme tel. La pression publique sur Shigeko, son épouse, est terrible. Elle devient une sorte d’esclave domestique pour satisfaire tous les besoins du rescapé, y compris une lubricité intacte. Entre pitié et dégoût, la fin misérable du mythe guerrier conclut un film dur mais salutaire.

Comme l’Argentin Lerman, le Chilien Pablo Lorrain montre, dans Post mortem, que les dictatures latino-américaines de la deuxième moitié du XXème siècle n’ont pas suscité que d’héroïques résistances. L’attentisme et l’indifférence ont eu une large part. C’est le cas de Mario, célibataire méticuleux et employé modèle à la morgue, dont le seul horizon apparent est la conquête de sa voisine d’en face, Nancy, danseuse de cabaret fatiguée, tandis que les jours d’Allende et de l’Unité populaire sont comptés (belle manifestation des Jeunesse communistes). Le coup d’Etat a lieu et ne se manifeste pour Mario que par l’amoncellement des cadavres à la morgue. Nancy disparaît, il la recherche mollement et la retrouve dissimulée dans un réduit de sa maison détruite en compagnie d’un militant. Que croyez-vous qu’il arriva? Mario, à l’image des cadavres à la morgue, se met à entasser méthodiquement meubles et objets hétéroclites sur la cachette, ensevelissant symboliquement pour longtemps la démocratie au Chili. Le tout filmé froidement, cliniquement. Impressionnant.

Voleur de lumière du réalisateur khirghiz Aktam Arman Kubat déçoit un peu. On s’ennuie parfois et les facéties de l’électricien Svet-Ake sont un peu répétitives. Deux films fort ambitieux pour finir. Dans Louis XI, le pouvoir fracassé, film français de Henri Helman, on suit volontiers une dramatisation sans surprise mais bien conçue dans une mise en scène très classique. C’est le côté film historique qui pêche. Passons sur les erreurs historiques relevées par l’historien Didier Le Fur : la régence d’Anne de Beaujeu n’a jamais été effective ; Louis XI consulte sans cesse une carte qui ne pouvait pas exister à l’époque... Sur le fond on s’étonnera surtout de la conception de l’histoire extrêmement datée véhiculée par ce film, à la Historia, genre « Ces grands rois qui ont fait la France » où des lieux communs qui traînent depuis Lavisse tiennent lieu de faits historiques... Que dire de Tolstoï, le dernier automne de l’Américain Michaël Hoffman où les derniers jours de Tolstoï sont réduits aux incessantes querelles que lui fait sa virago d’épouse, Sophia, qui ne songe qu’à l’héritage... Tolstoï vu par le petit bout de la lorgnette, on ne saura rien sur sa doctrine. Rien que de médiocres tractations. Film aussi ennuyeux que prétentieux, tourné assez platement. Heureusement, les bois de bouleaux sont toujours photogéniques. Quant aux personnages russes que l’on fait parler anglais, c’est consternant et balaie le peu de crédibilité qu’ils pouvaient avoir.

Gérard LOUSTALET-SENS (10 janvier 2011)