Sarkozystement correcte

Sud-Ouest du 26 janvier nous a informé d’un évènement considérable: Mme Françoise Laborde, speakerine à la télé de son état, aurait été nommé par Sarkozy au Conseil supérieur de l’audio-visuel. Il faut dire que Mme Laborde passe ici pour une gloire locale sous prétexte qu’elle a habité jadis Allées Damours et qu’elle villégiature encore du côté du Cap-Ferret. Certes, elle a beaucoup travaillé pour perdre son accent. Etant donné le parisianisme ambiant, cela semble utile, j’en conviens, pour faire carrière. A condition que ce ne soit pas caricatural. Mme L. croit ainsi judicieux d’accentuer le son qu’on appelle en phonétique [a] ouvert, ce qui lui fait articuler des « tomâââte » ou « banâââne » parfaitement ridicules, une prononciation qu’elle croit distinguée mais qui n’est qu’incongrue et fait rire, j’en atteste, jusqu’en Normandie. Passons.

Cette nomination est surtout censée démontrer la longanimité de Sarkozy car Mme L. aurait manifesté son opposition à la suppression de la pub à la télé publique, voulue par le président, dans un livre récent (Ça va mieux en le disant, Fayard). Je me suis donc astreint à parcourir ce méchant petit ouvrage, hâtif, brouillon, au souffle court, aussi platement écrit que vite oublié. Notons que la dame se pique de littérature, elle est déjà l’auteure d’une demi-douzaine de parutions dont au moins trois sur sa mère. Indispensable. Peopolisation et loi du marché font que des éditeurs pensent ainsi pouvoir faire de l’argent avec le moindre crachotis de la plus infime notoriété.

Mme L. va donc nous conter par le menu ses démêlés avec la Sainte Vierge, le père Noël et sa sœur, des histoires et anecdotes familiales banales, tout un bavardage oiseux dont on dira, pour rester mesuré, qu’il n’a strictement aucun intérêt, de même que ses récriminations amères de comédienne ratée et évidemment incomprise... Mais en outre elle a ce qu’elle croit être des opinions personnelles et elle s’emploie à nous les infliger. Pour ce qui est de son « opposition » à la suppression de la pub, elle est en vérité très discrète et porte essentiellement sur l’idée que cela va conduire France Télévisions à « sortir du marché » et moins se préoccuper de l’Audimat! Ce qu’elle déplore. Sarkozy ne s’en relèvera pas. A part ça, elle insiste un peu trop lourdement sur sa « résistance » aux pressions et sa « liberté totale » qui lui « permet de dire ce qu’elle pense », ce qui, on va le voir, n’a rien pour peiner ses patrons et l’autorise à vanter courageusement Sarkozy en « chef d’Etat jeune, tonique, moderne » (p.219) lequel trouve lui-même qu’elle est une « très bonne intervieweuse » (p.161).

Mme L. croit vraiment qu’elle pense en affichant son mépris des chauffeurs de taxi, sa détestation des enseignants, sa haine des cheminots et en étalant un catalogue consternant de platitudes populistes et de lieux communs droitiers éculés. Il faut voir la prétention inepte avec laquelle elle s’improvise conseillère pédagogique! Découvrant avec 30 ans de retard l’un peu oublié Alexander S. Neil et ses Libres enfants de Summerhill, elle croit y voir la « bible » de l’école d’aujourd’hui! Ce qui est d’un grotesque achevé! Mais où est-elle allé chercher ça? Il est vrai qu’elle accumule sans vergogne clichés populistes, approximations pédantes et ignorances crasses: les enseignants ont trop de jours de vacances et pas assez d’heures de cours, Gérard Aschiéri, dirigeant de la FSU (et non du SNES) n’a pratiquement jamais enseigné et préfère la contestation à l’enseignement parce que c’est moins fatigant (p.238)! Elle aligne des notions pédagogiques dont à l’évidence elle ignore à peu près tout et en les citant de travers. Elle prône les « textes appris par coeur » parce qu’on « sait maintenant, précise-t- elle doctement, qu’ils conditionnent l’intelligence future ». Elle l’a entendu dire. Et puis « les connexions neuronales se font dès l’enfance ». Sans blague! Quel puits de science... En fait, le « par coeur » n’a ici rien à voir: la vie durant, le moindre apprentissage constitue des réseaux de neurones interconnectés. Il serait sans doute vain d’inviter Mme L. à s’informer avant de débiter des âneries mais peut-être pourrait-on lui recommander, en tant que régionale de l’étape, un certain Montaigne, qui n’était certes pas aussi savant qu’elle, mais pouvait écrire: « Sçavoir par cœur n’est pas sçavoir, c’est tenir ce qu’on a donné en garde à sa mémoire » (Essais, Livre I, chapitre XXVI, « De l’instruction des enfans »).

Enfin, on ne peut que s’interroger sur la capacité de Mme L. à présenter les luttes sociales avec un minimum d’objectivité à voir l’exécration qu’elle voue en particulier aux cheminots, ces « heureux bénéficiaires des régimes spéciaux » qui ne pensent qu’à la retraite et qui « paralysent le pays » pour défendre leurs « avantages » alors qu’ils n’ont même pas fait grève sous l’Occupation pour « stopper » les trains de déportés! D’ailleurs la Résistance des cheminots, la Bataille du rail, c’est « une imposture historique extrapolée et véhiculée par les « camarades » après la guerre » (p.96). Ajoutons, en guise de pensée « sociale », sa condescendance pour le « romantisme anarchisant de ceux qui rêvent d’une entreprise traitant mieux ses salariés que ses actionnaires ». Impensable, en effet.

Comme on voit, à l’instar de ses congénères placés aux endroits stratégiques des médias, pour leur inépuisable conformisme et leur insondable médiocrité, Mme L. n’a nul besoin des consignes directes de l’Elysée pour être sarkozystement correcte...

19 février 2009