Le petit-maître et le riche jean-foutre

Ils sont deux comédiens au talent réputé. L'un a joué Obélix, il en a conservé la cervelle et le gros appétit. L'autre n'en finit pas de se prendre pour Beaumarchais l'insolent. Le jean-foutre, M. Depardieu, puisqu'il faut l'appeler par son nom, était, dans un de ses derniers rôles, un retraité sillonnant les routes à moto à la recherche de ses points de retraite. Un pur rôle de composition. Aujourd'hui, juché sur son tas d'or, on le verrait mieux interpréter Harpagon. On sait ce qu'il en est, M. Depardieu a décidé de quitter la France pour ne plus payer d'impôts ! On s'en remettra. Quant à lui, comme il l'a dit un jour, « l'argent, chez moi, il est devenu complètement abstrait (...). Cela peut devenir une maladie, s'insinuer en vous, et un jour, on se réveille, on est radin. On compte » (cité dans Le Monde, 22.12.2012). Il y est. Il a été Danton au cinéma mais a oublié que l'on « n'emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers ». M. Depardieu n'est, en fait, que le symbole bouffi de l'arrogance et de l'indécence d'une ploutocratie dont le seul horizon est ce que Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot appellent « l'argent sans foi ni loi » (Editions Textuel, 2012).

Jusqu'au mépris affirmé de la représentation nationale. Jean-Marc Ayrault, Premier Ministre, a trouvé « minable » le comportement de M. Depardieu. Le mot est faible. C'est le qualificatif deméprisable qui convient le mieux au cynisme friqué et à l'égoïsme médiocre de ce qu'on appelle les « exilés fiscaux ». Mais M. Depardieu s'en est indigné : « Qui êtes-vous pour me juger ainsi, M. Ayrault, je vous le demande ? » Jean-Marc Ayrault, quoi qu'on en pense, est un élu de la nation, ce qui lui confère une légitimité bien au-dessus des facéties d'un saltimbanque aussi talentueux soit-il ! Ajoutons que le consentement à l'impôt est un article de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ainsi que le remarque Pascal Jan, Professeur à l'IEP de Bordeaux, « la majorité sortie des urnes en juin 2012 est légitime à surimposer provisoirement ceux de nos compatriotes pour qui la crise n'est qu'un mot, peut-être rempli de douleur et de souffrance, mais certainement pas une réalité vecue personnellement. Refuser le choix de la majorité, c'est enfreindre la légalité fiscale. Plus fondamentalement, c'est rejeter le choix démocratique d'un pays » (www.libération.fr). M. Depardieu s'assoit sur les principes élémentaires de la démocratie et il voudrait qu'on le respecte.

On sait que la corporation people, à de notables exceptions près, a soutenu M. Depardieu, MM. Halliday, Elmaleh, Mme Deneuve... Cette dernière s'est fendu d'un insignifiant petit texte dansLibération où s'adressant à Philippe Torreton qui avait osé moquer Depardieu, elle s'exclame : « qu'auriez-vous fait en 1789, mon corps en tremble encore ». Elle se voyait déjà guillotinée par Toretton ignorant que la Terreur c'est 1793 et pas 1789! Passons. Mais il faut croire que 1789 hante les riches et Mme Parisot s'angoisse : « on est en train de recréer un climat de guerre civile qui s'apparente à 1789 ». Rappelons que 1789, c'est l'abolition des privilèges...

Reste le petit maître, M. Lucchini bien sûr. On connait le cabotinage effréné dont il est capable dans tous les médias pour vendre une salade promotionnelle dont ses réels talents de comédien et de conteur ne devraient avoir nul besoin. Sous des dehors extravagants perce, hélas, un navrant conformisme. Selon Sud-Ouest qui l'avait invité, « Fabrice Lucchini ne va pas cacher qu'il aime l'argent » (20.12.2012). On comprend alors pourquoi « la gauche marxiste est l'une des cibles favorites de l'acteur ». Il n'aime pas le Front de Gauche, ce qui est son droit. Il ne quitterait pas la France, « sauf peut-être un jour s'il y a Mélenchon », ce qui est déjà moins glorieux. Il se dit « anar de droite », ce qui est commode et lui assure un statut confortable d'impertinent de salon lui permettant de rejouer à satiété au Beaumarchais de pacotille devant un public complaisant. Bien entendu, il soutient Depardieu et, à Bordeaux, il séjourne en toute simplicité au Grand Hôtel où il se nourrit élégamment de thé au lait froid, de champagne et de cannelés (dixit Sud-Ouest). C'est ça ce qu'ils appellent la « réussite » : descendre au Grand Hôtel tandis qu'un SDF crève -au sens propre- de froid au coin de la rue. Mais M. Lucchini et ses semblables n'y sont naturellement pour rien... Il n'avait qu'à faire du cinéma !

14 janvier 2013