Le mythe de l'allergie française au fascisme

Dans sa dernière chronique de Sud-Ouest, M. Michel Winock se donne beaucoup de mal pour montrer que la période actuelle ne serait en aucune façon un « retour des années 30 » (13.02.2016). On connait le procédé : attribuer à l'interlocuteur une opinion intenable pour mieux disqualifier l'ensemble de son discours. Qui, en effet, pourrait prétendre « transposer » telles quelles les années 30 aujourd'hui ? Par contre, ce que M. Winock veut apparemment éviter de voir, c'est la réaffirmation tonitruante aujourd'hui des idées les plus rancies de la droite et de l'extrême-droite de ce temps-là. Un bon guide sur cette époque de notre histoire est quelqu'un que M. Winock n'aime pas du tout, l'historien israëlien Zeev Sternhell (Ni droite ni gauche. L'idéologie fasciste en France, Folio, 2011).

Racisme, xénophobie, mépris de classe, haine de la démocratie sont alors pratiqués sans retenue et en toute bonne conscience par une droite vindicative, arc-boutée sur une conception organiciste de la Nation comme réalité biologique, sur une représentation figée du corps social qui autorise la stigmatisation et l'exclusion de tout ce qui ne relève pas de «l' âme de la France », de sa Terre et de ses Morts, pour reprendre l'expression du maître à penser le plus influent de l'époque, Maurice Barrès. Au point que la distinction va s'avérer de plus en plus difficile, idéologiquement, entre cette droite et ce qui va être, n'en déplaise à M. Winock, la forme française du fascisme. Tout comme aujourd'hui l'osmose s'accélère entre ex-UMP et Front national. Le grand intellectuel, prestigieux, est alors M. André Siegfried, infatigable vulgarisateur de l'origine ethnique des comportements pour qui « la civilisation occidentale si elle est le résultat d'un milieu est aussi l'oeuvre d'une race » (cité par Z. Sternhell, p. 46). C'est évidemment la « race blanche » de l'impayable Nadine Morano ! Siegfried partage l'humanité en deux espèces selon la mesure du crâne : les « dolichocéphales », supérieurs, et les « brachicéphales », inférieurs... Ces inepties seront enseignées jusqu'en 1957 à l'IEP de Paris sans que cela choque personne... Notons que Siegfried est également l'inventeur de la fable bienvenue du « bon Vichy » de Pétain et du « mauvais Vichy » de Laval...

Le problème de M. Winock maintenant, c'est la terrible démonstration de Zeev Sternhell : il y a bien eu un fascisme français ! Ce qui a valu à l'historien israëlien un déferlement de critiques voire d'invectives peu commun. Il fallait pour les historiens orthodoxes défendre à tout prix la fiction d'une « immunité française » au fascisme, le « tempérament » français et la tradition républicaine l'en aurait miraculeusement préservé. Deux raisons à cet acharnement : du point de vue idéologique, c'est tout un travail de refoulement de Vichy et de la gestation fasciste dont il est issu (j'y reviendrai) ; du point de vue du champ de l'historiographie, c'est le maintien de la domination du clan formé alors autour du nouveau pape des sciences politiques en France, René Rémond, qui publie la nouvelle bible, La Droite en France de 1815 à nos jours, en 1954 alors que Siegfried sévit d'ailleurs toujours à l'IEP Paris. On sait que pour Rémond, il n'y a que trois droites : légitimiste- réactionnaire (la Manif pour tous), orléaniste-libérale (le néo-libéralisme aujourd'hui), bonapartiste- plébiscitaire (autoritaire). Pas de place dans ce schéma pour une droite fasciste... La meute, les Milza, Bernstein, Julliard, Azema, Burrin et... Winock, va donc s'attacher à déconsidérer Sternhell... Et pas toujours sereinement... Il n'est que de voir comment a été traité de même le sociologue et politiste Michel Dobry, coupable d'avoir coordonné un ouvrage déconstruisant méthodiquement le mythe de l'allergie française au fascisme (2003).

Réfuter la possibilité qu'il ait pu y avoir un fascisme français permet en tout cas de relativiser l'abjection du régime de Vichy où collaborèrent entre eux et avec les nazis aussi bien des fascistes avérés que des représentants de la droite classique, bons catholiques, antisémites distingués et anticommunistes fanatiques... Sans parler d'une administration qui se mit immédiatement au service du nouveau régime... On sait quel exemple en fut Papon lequel, comme la plupart de ses pairs, retrouva une place confortable à la Libération...

20 février 2016