A propos de "garde nationale" I
On connait un des derniers gadgets de Hollande pour essayer d'exister : la mobilisation des « réserves opérationnelles » de l'armée, de la police et de la gendarmerie, complétées par un appel au volontariat de jeunes appâtés par un financement du permis de conduire et 100 euros par mois ! Soit quelques dizaines de milliers de personnes. Avec ça les terroristes n'ont qu'à bien se tenir... Et ils ont osé baptiser cette chose « garde nationale » ! Il faut toute l'inculture journalistique pour donner quelque crédit à cette prétention. La Garde nationale dans l'histoire de la France, c'est tout autre chose que cette pauvre supercherie. La Garde nationale, en son principe, c'est le peuple en armes, notion redoutée par le pouvoir de classe et les dominants et qu'ils ont toujours cherché à neutraliser ou à détourner. Ce n'est pas par hasard que la Garde nationale a été instituée, en juillet 1789, par la création, le 13, de la milice bourgeoise parisienne qui va devenir Garde nationale : cette force est le peuple en armes car elle est exercée par les citoyens eux-mêmes comme garantie de l'expression de la volonté générale. La Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790, sera l'éclatante manifestation de l'unité des Gardes nationales fédérées de tout le pays même si, précise Albert Soboul, la Garde ne deviendra vraiment nationale et populaire qu'avec la Commune insurrectionnelle du 10 août 1792 et la victoire des Montagnards (1).
La Garde nationale, de 1789 à 1871, est présente dans tous les grands moments de l'histoire de ce pays. Mais, curieusement, les idolâtres du « roman national » à la Fillon l'écartent de leur panthéon. Elle n'a évidemment rien à voir avec les niaiseries sur Charles Martel ou Jeanne d'Arc ! Il y a pire : les historiens eux-mêmes l'ont quasiment ignorée, l'historiographie française, hormis des études locales, s'est scandaleusement désintéressée de ce sujet sans doute gênant. François Furet et Mona Ozouf l'ont ainsi délibérément écartée de leur Dictionnaire critique de la Révolution française au moment du Bicentenaire : l'existence de cette grande force populaire ne cadrait pas avec leur interprétation politico-libérale de la Révolution. A ce jour, il n'existe que TROIS ouvrages synthétiques sur la Garde nationale dans toute l'historiographie française (2). Je soutiens que cet ostracisme, au-delà des considérations méthodologiques, est, consciemment ou non, idéologique. On ne sait par quel bout prendre la Garde nationale en tant que mouvement populaire.
Cette histoire est certes compliquée, parfois cahotique. On rappellera seulement ici quelques repères permettant de remettre à sa place la pâle diversion hollandaise. L'organisation de la Garde nationale était locale, chaque commune avait sa Garde nationale. Les Gardes nationales des communes étaient regroupées en bataillons. Dans les communes rurales, les Gardes nationales étaient rassemblées pour constituer des bataillons le plus souvent cantonaux ; dans les villes, les Gardes nationales des différents quartiers formaient plusieurs bataillons. Il y a eu des fluctuations dans une organisation reposant sur deux grands principes que les pouvoirs politiques ont souvent voulu remettre en question : toute la population masculine, de 20 à 60 ans, faisait partie de la Garde nationale ; les officiers et sous-officiers étaient localement ELUS par les gardes nationaux eux- mêmes ! Ce qui fait d'ailleurs que la Garde nationale n'a pas toujours été homogène et qu'elle a été bien entendu traversée par la lutte des classes, les bataillons, en fonction de leur lieu de constitution, étaient d'origines sociales et d'orientations politiques différentes. Ainsi, elle a souvent varié entre les deux grandes missions qu'elle s'était assignées : le maintien de l'ordre d'une part, le « droit à l'insurrection » conquis le 14 juillet 1789 d'autre part (3).
(1) Albert Soboul, Précis d'histoire de la Révolution française, Editions sociales, 1962
(2) Louis Girard, La Garde nationale. 1814-1871, Plon, 1964 ; Georges Carrot, La Garde nationale (1789-1871). Une force publique ambiguë, L'Harmattan, 2001 ; Roger Dupuy, La
Garde nationale. 1789-1872, Folio-Histoire, 2006.
(3) Roger Dupuy, « La Garde nationale : du déni historiographique à la nécessité d'un nouveau questionnement », dans Serge Bianchi et Roger Dupuy (dir.), La Garde nationale entre nation et peuple en armes, Presse universitaires de Rennes, 2006.
7 novembre 2016