A propos de « garde nationale » (II)
Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est l'archevêque de Bordeaux, Jérôme Champion de Cicé, député du clergé, qui a inspiré l'article 12 de la Déclaration du 5 septembre 1789 : « La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée » (Georges Carrot, ouvr. cité, p.104). Cette force, ce sera la Garde nationale créée en réaction à l'emprise des mercenaires royaux. Institution populaire, avec ses contradictions, elle a traversé l'histoire de la France. Lors des Journées de Germinal et Prairial 1795, lorsque les quartiers populaires, le Faubourg Saint-Antoine, le Faubourg Saint-Marceau, menés par les Sans-culottes, se révoltent contre la réaction thermidorienne, la Garde nationale des quartiers de l'est parisien est avec eux pour le pain et la Constitution de 1793. Ils auraient pu l'emporter mais, dupés par une fausse « fraternisation » organisée par la Convention thermidorienne, ils se retirent et seront défaits par la cavalerie de l'armée renforcée par les « bons citoyens » des Gardes nationales des beaux quartiers de l'ouest (Albert Soboul, ouvr. cité, pp.372-373).
Tous les pouvoirs autoritaires se défieront de la Garde nationale ; ils n'oseront pas la supprimer mais tenteront souvent de la domestiquer. Napoléon veut l'intégrer à l'Armée impériale. Pendant les Cent-Jours, elle assurera avec succès la protection des places fortes qui lui est confiée face à l'invasion étrangère. Il est vrai que d'autres comportements furent moins glorieux : la Garde nationale bordelaise, elle, a suivi dès 1814 le maire Lynch lequel, quelques mois après avoir juré fidélité à l'Empereur, se rendait le 12 mars au devant les troupes anglaises de Beresford pour leur remettre les clés de la ville. A la Restauration, le Comte d'Artois entre dans Paris en uniforme de garde national, mais, devenu Charles X, il va dissoudre la Garde parisienne et se méfier en permanence de ces villes manufacturières qui, souvent, portent des ouvriers aux postes d'officiers au détriment des patrons. Louis-Philippe affirme que le soutien de la Garde nationale lui est plus précieux que le sacre de Reims, bien que, désorganisée, elle ait peu participé, en juillet 1830, aux Trois Glorieuses. Sous la monarchie de Juillet, la Garde nationale poursuit son histoire : à Lyon, en 1831, contre les Canuts, à peine 500 gardes nationaux sur 15 000 se présentent pour maintenir l'ordre, bien d'autres se retrouvent dans le camp de l'insurrection.
En février 1848, la Garde nationale participe à la chute de Louis-Philippe. En juin, les ouvriers qui y ont eux aussi largement contribué se révoltent contre la suppression des Ateliers nationaux et la misère ; ils sont rejoints par les Gardes nationales des quartiers populaires tandis que les Gardes nationales des « bons quartiers » se joignent à l'armée dans la répression. C'est ici sans doute que l'on va trouver le modèle de la pseudo-garde nationale de Hollande : une « Garde mobile » hâtivement constituée pour assurer le sale boulot dont ne voulaient pas les bataillons des quartiers riches et où l'on amalgame jeunes gens désoeuvrés et amers, repris de justice, déserteurs, etc. tout ce lumpenprolétariat dont parlent Marx et Engels dans Les luttes de classes en France attiré par le gain et la violence. Bref une vieille tactique de la bourgeoisie : dresser et organiser une fraction du peuple contre le peuple lui-même. Même les « bonnes gens » s'effrayèrent de leur férocité répressive, tortures, exécutions, viols... Une option pour les jeunes des « quartiers » d'aujourd'hui ?
Et puis c'est la Commune de 1871. La Garde nationale parisienne a voulu continuer la lutte contre les Prussiens alors que les bourgeois fuyaient, préférant -déjà- « Bismarck plutôt que Blanqui ». Plus de 200 bataillons parisiens se constituent en Fédération de la Garde nationale (bien entendu, les bataillons des beaux quartiers s'enfuient eux aussi) et se dotent d'un Comité central. Le Comité central républicain des vingt arrondissements de Paris et l'Association internationale des travailleurs vont le rejoindre. Les canons de la Garde nationale sont préservés. C'est le début de la Commune. On connait la suite. Dès la reddition du dernier carré des « communards », le 29 mai 1871, Thiers signe l'arrêté qui supprime définitivement la Garde nationale. On ne demande pas de la ressuciter, mais au moins que l'on n'usurpe ni son nom ni son histoire !
21 novembre 2016