A propos de « garde nationale » (III)
Encore un mot sur la Garde nationale à Bordeaux et en Gironde. Ici aussi aucune étude d'ensemble sur le sujet, tout au plus UN mémoire de maîtrise datant de 1994. A part ça, des mentions, évidemment incontournables, dans diverses Histoires de Bordeaux. Oublions, sinon sous forme elle-même de document, celle de Camille Jullian obnubilé par sa haine des Jacobins et son mépris des classes populaires (1895). Les huit volumes édités par la Fédération historique du Sud-Ouest, bien que déjà un peu anciens (1968 pour la XVIIIème siècle, 1969 pour le XIXème), restent tout à fait recommandables.
La Garde nationale bordelaise est à l'image de la ville, opportuniste, versatile et indécrottablement bourgeoise. Les classes populaires peineront à y trouver leur place. En 1789, 240 délégués du Tiers-Etat choisissent 90 électeurs qui donnent le pouvoir à 4 députés. Les « 90 » constituent les citoyens en une « Armée patriotique » qui va devenir la Garde nationale. Le premier commandant général est un aristocrate, Durfort de Duras. Il est tout à l'honneur de la Garde nationale bordelaise d'avoir mobilisé, en 1790, 1 500 gardes nationaux pour porter secours à la municipalité de Montauban en butte à la réaction cléricale. Symboliquement, en 1792, la statue équestre de Louis XV, Place Royale (aujourd'hui Place de la Bourse) est déboulonnée et destinée à être fondue afin de faire des canons pour la Garde nationale.
Napoléon veut affecter la Garde nationale bordelaise à la défense des côtes. A la Restauration, en 1815, les Ultra-royalistes la prennent en main. Vient la Révolution de 1830, nouveau retournement de veste : l'archevêque de Cheverus demande aux curés de bénir les drapeaux de la Garde nationale ; sur les Quinconces, le duc d'Orléans passe en revue 3 000 gardes nationaux. Dans le département, 475 communes, soit 83%, ont organisé une Garde nationale. Une petite commune de l'Entre-deux-mers comme Cénac (547 hab.) élit régulièrement, en 1837, 1840, 1846 le capitaine, les officiers, sous-officiers et caporaux de sa Garde. En 1846, il y a 142 électeurs et 62 votants pour cette élection contre 55 électeurs (censitaires) et 30 votants pour désigner le Conseil municipal. En toute rigueur démocratique, le capitaine de la Garde nationale possède plus de représentativité que le maire. La bourgeoisie bordelaise pour qui le laisser-faire affairiste de l'Orléanisme est le régime idéal accueille mal la Révolution de 1848. Le maire, Dufour-Dubergier, tente en vain de mobiliser contre elle la Garde nationale puis se rallie opportunément aux « glorieuses couleurs de la République ». La Garde nationale est une fois de plus réorganisée. Les citoyens pauvres ont du mal à l'intégrer car le service fait perdre des journées de travail, ce sont des artisans, des boutiquiers, des contre-maîtres, l'élite ouvrière... (1).
En 1870, l'Assemblée nationale se réfugie à Bordeaux et siège au Grand-Théâtre. Les gardes nationaux de service, avec la foule, applaudissent les députés républicains et insultent les députés de la majorité conservatrice ; Garibaldi est acclamé... On les remplace par l'Armée. Beaucoup de gardes nationaux vont préserver eux-mêmes spontanément les affiches de la Commune et empêchent que la police les arrache, aux Capucins, rue du Mirail... Le 18 avril 1871, le 6ème Bataillon de la Garde nationale défile la crosse en l'air au cri de : Vive la République ! Vive la Commune ! (2). Les militants de l'Association Internationale des Travailleurs sont très présents. Paul Lafargue, le gendre de Marx, Bordelais d'origine, est envoyé à Bordeaux. Une Fédération des Gardes nationales est en projet. L'AIT publie un journal du même nom. Au procès de ce journal, en juin 1871, le procureur accusera : « tout y est insulté : religion, famille, propriété, patrie... On y inspire aux classes ouvrières la haine des classes élevées ; on y exalte l'odieuse association, l'Internationale » (cité par Jacques Girault, p.246). Le vieux discours de luttes des classes de la droite de toujours. Celui que reprend Fillon comme nous allons le voir.
- (1) Alfred Charles, La Révolution de 1848 et la Seconde République à Bordeaux et en Gironde, Editions Delmas, 1945.
- (2) Jacques Girault, Bordeaux et la Commune, Fanlac, 2009.
5 décembre 2016