Christianisme et émancipation
Dire que « pour le christianisme, les pauvres ne sont pas responsables de leur condition puisque c’est Dieu qui l’a voulu ainsi », ce n’est que l’opinion du chroniqueur que je suis et cela ne saurait, bien entendu, en aucun cas engager la rédaction des Nouvelles, laquelle laisse à ses chroniqueurs une totale liberté d’expression.
Je regrette que cette phrase ait pu vous heurter. J’entendais ainsi synthétiser, d’une façon peut-être trop rapide, tout un passage de l’ouvrage auquel je me suis ici référé (Alain de Botton, Du statut social, Mercure de France, 2005). Je vous transcris ce passage, non pour user d’un argument d’autorité, mais afin d’alimenter le débat. Alain de Botton remarque que, dès l’Antiquité, « l’idée que l’inégalité était juste ou du moins irrévocable était souvent partagée par les opprimés eux- mêmes », puis il ajoute: « Avec l’expansion du christianisme vers la fin de l’empire romain, beaucoup d’entre eux devinrent la proie d’une religion qui leur enseignait à considérer leur condition inférieure comme faisant partie d’un ordre immuable. Malgré les principes égalitaires de l’enseignement du Christ, les théoriciens politiques chrétiens ne suggéraient guère que la structure sociale pouvait être réformée afin que les moins favorisés puissent avoir une part plus équitable de la richesse du monde. Sans doute les hommes étaient-ils égaux devant Dieu, mais cela ne semblait pas être une raison pour commencer à rechercher l’égalité sur terre.
Pour ces théoriciens, une bonne société chrétienne prenait donc la forme d’une monarchie absolue strictement hiérarchisée, qui était censée refléter l’ordonnancement du monde céleste. De même, selon eux, que Dieu exerçait un pouvoir absolu sur toute la création, des anges jusqu’aux plus petits crapauds, les souverains de droit divin régnaient sur une société où Dieu avait attribué à chacun sa place, du noble jusqu’au valet de ferme » (pp. 63-64).
Cette analyse me paraît pertinente et il me semble qu’il serait un peu vain de nier que l’Eglise ait été tout au long des siècles une force essentielle du conservatisme social et politique. Néanmoins, disant cela, je ne méconnais pas pour autant l’action menée par de nombreux chrétiens pour l’émancipation des opprimés. Je dis souvent que les meilleurs militants que j’ai rencontrés étaient des chrétiens de gauche, par la qualité de leur engagement, leur courage, leur dévouement, leur désintéressement. Beaucoup sont ou ont été des camarades et des amis. Je sais qu’ils ont agi au nom de leur foi et leur sincérité ne fait aucun doute. Au nom de leur foi, mais, malheureusement, et c’est là que le bât blesse, pas au nom de leur Eglise! Celle-ci s’est au contraire évertuée à multiplier à leur égard les conseils de prudence et de modération, elle leur a souvent infligé des blâmes, elle a même prononcé de pures et simples condamnations comme cela a été le cas pour la Théologie de la libération en Amérique latine ou le mouvement des prêtres-ouvriers en France. Je n’ai ni qualité ni compétence pour discuter les enseignements du Christ, encore qu’une formule christique comme: « mon royaume n’est pas de ce monde » ne me semble pas de nature à encourager la lutte pour changer notre ici-bas. Par ailleurs, quels que soient les mérites des chrétiens engagés dans l’action quotidienne pour la libération des opprimés et des dominés, la réalité du christianisme -fut-ce dans sa version catholique- continue à s’incarner dans l’Eglise de Rome et il ne semble pas que ce soit aujourd’hui une référence pour les hommes et les femmes de progrès.
Réponse à M. Arrayet, 24 avril 2007