Blanquer, égarements et inquisition

 

 

On aura rarement vu un ministre de l’éducation nationale aussi agressivement réactionnaire que le nommé Jean-Michel Blanquer. Et pas seulement dans le domaine de l’éducation. On notera d’abord, sans s’y attarder tellement c’est misérable, les procédés douteux d’une pratique ministérielle aux principes élastiques. On a eu ainsi droit à la tentative de créer de toutes pièces un syndicat lycéen maison, « Avenir lycéen », censé louanger les réformes ministérielles. Une des fondatrices a mangé le morceau tandis que les autres se gobergeaient (sans métaphore) avec les subventions du ministère en ripailles dans des restaurants haut de gamme. Lamentable. Et puis il y a eu le réflexe clanique lorsque Blanquer organise dans les jardins du ministère une fiesta pour la promotion du dernier livre d’un certain Laurent Bouvet. Celui-ci est un fondateur d’une officine ethno-nationaliste dite « Printemps républicain » laquelle se réclame d’une laïcité évidemment « intransigeante », c’est-à-dire vouée à la détestation de tout ce qui est mahométan. Bref, un copain de Blanquer. Celui-ci, une fois pris sur le fait, assure avoir payé les agapes de sa poche… Tout de même, ce n’est pas n’importe quel pékin qui peut s’offrir pour un raout les jardins d’un ministère… Privilège de nomenklatura… Rien n’est trop beau pour la coterie Blanquer. Le philosophe Alain Brossat, qui revendique ironiquement le stigmate d’« islamo-gauchiste », vise juste en moquant ces « facho-républicains à la Blanquer qui s’en vont remplir leur petit caddie discursif, on n’ose pas dire intellectuel, à la superette Le Pen du coin » (Lundimatin, « Un long hiver républicain », www.lundi.am). Toujours dans un registre aussi peu scrupuleux, il y a l’affaire du tripatouillage de la lettre de Jaurès à lire aux élèves le 26 octobre. La « fierté alliée à la tendresse » de l’enseignant devient la « fermeté alliée à la tendresse » ! Mais pourquoi donc ? Quant au paragraphe où Jaurès défend l’autonomie de l’enseignant et critique vertement le recours excessif aux évaluations, il est carrément supprimé. Blanquer censurant Jaurès, quoi d’étonnant de la part d’un de ces « faux amis qui ne savent qu’encenser les profs morts et mépriser les profs vivants » (Pierre Tevanian, « Je suis prof », www.lmsi.net).

Plus grave, la malfaisance du ministre s’étend, bien entendu, au domaine institutionnel. J’ai déjà évoqué l’amendement scélérat qu’une sénatrice LR, Laure Darcos (épouse de Xavier Darcos qui fut lui-même un piteux ministre de l’éducation nationale), a proposé à la Loi de programmation de la recherche : « il s’agit, par cette disposition, d’inscrire dans la loi que ces valeurs (de la République), au premier rang desquelles la laïcité, constituent le socle sur lequel reposent les libertés académiques et le cadre dans lequel elles s’expriment ». Les réactions des chercheurs et des universitaires ont été vives et quasi unanimes. Un collectif de 34 sociétés savantes -de l’Association française de mécanique à la Société des historiens médiévistes en passant par la Société des neurosciences, l’Association française de Science politique ou la Société botanique de France- remet l’inquisitrice à sa place : « les libertés académiques sont garantes d’une capacité d’analyse de notre monde indépendante de toute pression économique, politique, religieuse ou autre. Elles ne peuvent donc être soumises à une vision politique et ne doivent pas faire l’objet de décisions prises sous le coup de l’émotion née d’une actualité dramatique » (www.sociétés-savantes.fr). Et Patrick Lemaire, président de la Société française de biologie du développement, lui précise : « La seule limite des libertés académiques, c’est l’intégrité scientifique » (Le Monde, 03.11.2020).

S’il faut revenir sur cette affaire, c’est parce que ce genre d’initiative s’inspire largement de l’odieuse campagne d’insultes, d’intimidation et de diffamation que Blanquer mène contre les universitaires chez lesquels il aurait trouvé des « complices intellectuels du terrorisme » et même les « auteurs intellectuels de l’assassinat de Samuel Paty ». Les sciences sociales enseigneraient une « vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes » et Blanquer de désigner en plus à la vindicte publique des organisations telles que l’UNEF, Sud-Education, La France insoumise, etc. Jusqu’au délire conspirationniste où les Inspé (Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation) sont soupçonnés d’enseigner les « valeurs du communautarisme » et non « celles de la République » ! Il faut remonter à Vichy et au pétainisme pour retrouver des accents d’une telle violence contre l’université…

 

NIR 260. 6 janvier 2021