Ce fascisme qui (re)vient…

 


Serait-il trop alarmiste de s’inquiéter de la multiplication, dans le champ politico-médiatique, de signes qui sont autant de marqueurs du retour des thèmes d’une idéologie fasciste authentiquement française ? Je citais quelques éléments dans ma dernière chronique, en juillet : généraux en retraite prêts à la guerre civile ; chasse aux sorcières à l’université… Il vient s’y ajouter, on le sait, la promotion effarante d’un certain Zemmour, caudillo au petit pied et créature médiatique de l’empire Bolloré. On ne peut que remarquer dans ce phénomène la filiation avec ce qui a été le fascisme français. Car il y a bien eu un fascisme français ainsi que l’ a amplement démontré le grand historien israélien Zeev Sternhell malgré les hauts cris d’une historiographie dominante (Milza, Jeanneney, Winock, Bernstein, Julliard…) pathétiquement confite dans la médiocrité et le refus de l’évidence… Il y a bien une continuité qui part de l’antidreyfusisme des années 1890, passe par les organisations fascistes des années 30 (La Rocque, Doriot…) puis la « divine surprise » du pétainisme pour déboucher aujourd’hui sur ce qu’on aimerait considérer, selon la formule de Marx, comme une farce ne faisant que répéter ce qui fut une tragédie.

On y retrouve, hélas ! toutes les vieilleries des pères fondateurs, Barrès et Maurras, sortis de la naphtaline. C’est le nationalisme grandiloquent de la Terre, du Sang et des Morts (ne pas oublier les majuscules!). C’est un imaginaire de la Nation organique, biologique, tribal. L’identité de la nation française ne devrait plus être définie en termes politiques et juridiques mais comme un mythe ethnique, clanique, racial. La xénophobie en est le principe cardinal et l’exclusion de tout ce qui n’est pas mon semblable en est la pratique constante. Tout ce qui est autre, différent, distinct est réputé repoussant et dangereux. On a pu entendre le 21 octobre, sur CNews (évidemment) une certaine Charlotte d’Ornellas, journaliste à Valeurs actuelles (forcément) oser cet ignoble sophisme : un homme voit deux enfants en train de se noyer dont l’un est son fils, il ne peut en sauver qu’un, ce sera immanquablement son fils… Voilà comment raisonnent les fascistes. Cette affabulation infâme ne se présente jamais ainsi dans la vie réelle : tout homme normalement constitué voudra sauver les deux enfants. Aucun artifice ne pourra justifier l’injustifiable ; l’inhumanité de la xénophobie ! C’est avec ce type d’argutie que le fascisme français sous Pétain a conduit des dizaines de milliers de juifs français et étrangers à l’abattoir nazi. En 1898, Maurice Barrès écrivait : « L’étranger comme un parasite nous empoisonne. Un principe essentiel selon lequel doit être conçue la nouvelle politique française c’est de protéger tous les nationaux contre cet envahissement » (cité par Schlomo Sand, La fin de l’intellectuel français, La Découverte, 2016, p. 254). Il y a 123 ans ! Comment ne pas reconnaître aujourd’hui l’héritage d’un fascisme bien français issu de ce que Zeev Sterhell appelle la « droite révolutionnaire »

La conception organique et ethnique d’un Etat-nation comme une sorte de corps dont les natifs seraient des atomes à préserver de toute impureté est un premier trait du fascisme français. C’est un nativisme, comme s’en réclament encore, par exemple, les suprémacistes blancs américains, qui conduit à un deuxième trait : la préservation à tout prix d’une pureté fantasmée de la « race française », de « notre civilisation », de « notre mode de vie » face à une invasion présumée successivement des barbares, des métèques, des indigènes, des juifs, des musulmans… On nous ressert ces ignominies à peine euphémisées et il se trouve aujourd’hui comme hier des intellectuels pour tenter de les maquiller en noble cause. Le procès accéléré, de nos jours, de toutes les dominations, de classe, de race, de genre, sème la panique chez les puissants de tout acabit, il est alors du dernier chic de hurler à la « décadence », au « déclin ». Jules Ferry n’y avait pas pensé : non seulement les « races supérieures » n’ont pas « civilisé » les « races inférieures », mais celles-ci seraient en train de submerger les premières selon la criminelle idiotie à la mode ! D’où la reprise d’une vieille antienne de l’idéologie fasciste en France : la « Défense de l’Occident »… cet Occident capitaliste et prédateur qui a fait le malheur des peuples du monde avant d’entreprendre maintenant la destruction méthodique de la planète. On va faire un peu l’histoire de cette imposture…