La "violence" des jeunes
Dans votre dossier, déjà superficiel, sur la « violence des jeunes », il a fallu que vous repreniez le poncif selon lequel, chez eux, « les coups remplacent les mots ». Les jeunes de banlieue seraient violents parce qu’ils ne savent pas parler! Il s’agit d’une idée reçue qui n’a jamais été confirmée par quelque étude socio ou psycholinguistique sérieuse que ce soit et que la paresseuse doxa journalistique se transmet d’article en article comme une évidence sans jamais le moindre début de vérification. La langue vernaculaire des « cités » est un outil de communication riche, expressif et tout à fait normalement efficace pour ses locuteurs. Le rap, qu’on l’aime ou non, en est une expression culturelle convaincante. Le problème est celui de son écart au français standard. Cet écart ne doit pas se comprendre en terme d’infériorité mais de registre de langue. Tout locuteur passe constamment d’un registre de langue à un autre en fonction de la situation d’énonciation. Les jeunes de banlieue peuvent aussi le faire, sauf quand un journaliste, la tête farcie de stéréotypes, passe par là pour leur faire jouer leur rôle de « racaille » qui ne sait même pas parler français, rôle qu’ils assument d’ailleurs avec satisfaction. Pour ce qui est de la qualité de ce français standard, il est de bon ton de la déplorer, suivant en cela les chantres autoproclamés d’une bigoterie lettrée jalouse de son savoir; leurs injonctions pédantes n’ont jamais empêché la langue d’évoluer. Quant à essayer de faire croire que les difficultés en banlieue ont d’autres causes que sociales (chômage, misère, racisme, discriminations), c’est évidemment une imposture.
Lettre au Nouvel Observateur (non parue)