Le Printemps des peuples arabes?
Les révoltes populaires ( pour parler de révolution attendons un peu) dans les pays arabes ont apporté des enseignements bien intéressants sur la valeur et la sincérité des vertus démocratiques proclamées dans les oligarchies occidentales. C’est peu dire que celles-ci ont été consternées par le cataclysme. Jusqu’au dernier moment elles ont tenté d’épargner les dictateurs. Sarkozy et Fillon sont même allés jusqu’à qualifier de « courageuse » la démission de Moubarak. Plus malins, les Américains, tout autant dépassés par les évènements, ont feint d’en être les accompagnateurs. Partie émergée de l’iceberg, les lamentables équipées des Alliot-Marie, des Fillon, ont révélé l’étendue des complaisances, connivences et complicités entre le personnel politique des démocraties occidentales et des potentats plus ou moins exotiques dont, apparemment, le pouvoir autocratique ne choquait nullement. On parle maintenant de révoltes au Yemen, en Jordanie, en Libye... Curieusement, on évite d’évoquer le Maroc! Il faut dire que « les élites françaises (y) ont pris leurs habitudes » (Le Monde, 10.02.2011). Strauss-Kahn et BHL peuvent s’y côtoyer dans leurs riads de Marrakech ; Hortefeux y croise Hervé Morin, invités, bien sûr, par des « amis » bien placés ; Jack Lang a ses quartiers à la Mamounia, palace propriété de l’Etat marocain ; les Chirac logent régulièrement dans un autre palace du sud-marocain, pris, naturellement, en charge par l’Etat marocain. Sans parler des Sarkozy... Allons l’amitié d’un dictateur, c’est bien sympathique.
Ces faits ne sont pas anecdotiques. Ils sont hautement significatifs de collusions dont le cynisme n’est pas une surprise. On ne va pas découvrir ici que les puissances impérialistes ont toujours délibérément installé et/ou soutenu des dictatures dans les contrées à exploiter : c’est le principe même du néo-colonialisme et la Françafrique n’a jamais été autre chose. Plutôt Hitler que le Front Populaire clamait la bourgeoisie, en France, en 1936. Plutôt Pinochet que l’Unité Populaire ont répondu en écho les Américains, au Chili, en 1973. Il y a toujours de bonnes raisons de fabriquer et d’armer des dictateurs contre leurs peuples de par le monde, en Amérique latine ou au Moyen- Orient. La lutte contre le « communisme » a autorisé toutes les ignominies. Aujourd’hui, on brandit l’épouvantail islamiste. Il faut voir la circonspection des idéologues médiatiques, les Finkielkraut, BHL, Adler qui font semblant de s’interroger gravement sur les dangers de l’intégrisme musulman. Sauf que, comme toujours, il s’agit de masquer que l’objectif est avant tout de « protéger » les intérêts « français » ou « américains », c’est-à-dire ceux des grandes sociétés capitalistes qui continuent, partout où elles peuvent, de mettre la planète en coupe réglée. En février 2005, Raffarin déclarait que « le président Chirac et le président Ben Ali ont la même vision du monde ». A la bonne heure! En septembre 2005, Strauss-Kahn félicitait Moubarak « à propos de l’impressionnante performance économique de ces dernières années... Il (Moubarak) a également fait de l’Egypte une destination de choix pour les investisseurs internationaux ». Edifiant! Et voilà que des peuples inconscients voudraient tuer la poule aux œufs d’or...
Il est temps de réagir. Le Plan B va consister à tabler, vieille recette de la bourgeoisie compradore, sur les « classes moyennes éduquées », comme dit Adler, seules accessibles à la raison permettant de perpétuer l’emprise des « investisseurs internationaux » face à des masses populaires incultes toujours susceptibles d’emballements inquiétants, de fièvres incontrôlables, de haines irrationnelles... La vision ethnocentrée d’Adler voudrait reproduire le modèle français où le peuple fait la révolution et la bourgeoisie tire les marrons du feu : février 1848, bourgeois et ouvriers abattent la monarchie de Juillet ; juin 1848, les bourgeois républicains écrasent les ouvriers. Le général Cavaignac, ministre de la Guerre en mars, s’était fait fort d’utiliser le savoir faire répressif acquis en Afrique pour mater les nouveaux barbares, les prolétaires, ces « Bédouins de la métropole ». Une sorte de réciproque anticipée des propositions de qui l’on sait. Ce doit être ce qu’on appelle les ruses de l’histoire.
Le racisme ethnique rejoint le racisme de classe : la démocratie ce n’est pas bon pour les Arabes et, depuis Montesquieu, on sait que ceux-ci sont particulièrement sujets à « l’immoralité » et au
« fanatisme ». Le climat « a naturalisé la servitude chez les peuples du midi » et « tous les peuples du midi sont en quelque façon dans un état violent s’ils ne sont esclaves » (De l’esprit des lois, Livre XXI, chap. III). En 1880, à propos du protectorat imposé à la Tunisie, Jules Ferry prétendait que les « musulmans n’ont pas la notion du mandat politique et de l’autorité contractuelle », que ce qui leur convient, c’est « un bon despote » et qu’ils sont indignes de la « déclaration des droits de l’homme ». On ignore encore trop la violence du racisme colonial d’Etat instauré sous la IIIème République pour légitimer la conquête et l’exploitation coloniales et dont le Code de l’Indigénat de 1881 ne fut que l’expression officielle. On discute chez les spécialistes des études post-coloniales des relations entre ce racisme colonial et ce qu’on appelle pudiquement les « discriminations » raciales d’aujourd’hui. Mais comment ne pas voir que ce racisme subsiste sous une forme d’autant plus pernicieuse qu’elle est, le plus souvent, impensée, par un phénomène connu en physique sous le nom d’hystérésis, couramment observé dans les rapports sociaux, qui est la persistance d’un effet après que cesse la cause qui l’a produit. La colonisation active a disparu mais les dispositions racistes qu’elle a induites continuent d’imprégner les mentalités d’un large partie de nos contemporains, nourrissant une inacceptable ethnicisation des rapports de classe.
Gérard LOUSTALET-SENS Editorial pour Espaces Marx Aquitaine, 16 février 2011