Racisme d'Etat et mépris de classe
Le racisme d’Etat dont on trouve la source, nous le verrons, chez les élites de la Troisième République prend, sous l’ère sarkozyste, des formes diverses : amalgame immigration/délinquance, islamophobie et loi sur la burqa, xénophobie et chasse aux Roms, etc. Une idée reçue de la gauche bobo veut que les mesures sarkozystes ne soient qu’une manœuvre électoraliste visant à satisfaire, pour les récupérer, les pulsions racistes et xénophobes présumées des classes populaires. Ce qui en dit long, de Libération au Nouvel Observateur, sur l’image que se fait de ces mêmes classes la « gauche » en question. En réalité, avec Sarkozy, nous avons affaire ici à ce que Jacques Rancière appelle (art. cité) un « racisme à froid », une « construction intellectuelle » relevant d’une « logique étatique ».
Le mépris du peuple chez une certaine gauche « raisonnable » est ancien et bien ancré jusqu’à faire une théorie de « l’ingouvernabilité des démocraties quand elles sont soumises à une surcharge des demandes populaires » (relevé par Annie Collowald, Le « populisme du FN » un dangereux contresens, Editions du Croquant, 2004). Il s’agit de disqualifier des groupes populaires représentés comme peu informés et peu démocrates, manipulables et assujettis à leurs passions (selon la vulgate historiographique libérale), face à des élites détentrices de la raison ne pouvant s’appuyer que sur les classes moyennes éduquées (c’est le programme de Strauss-Kahn). C’est ainsi que l’élection de 2002 et un soi-disant basculement populaire vers le FN a été une occasion inespérée pour les intellectuels « républicains » de libérer leur haine du peuple devenu un problème à résoudre plus qu’une cause à défendre, ainsi que le remarque Annie Collowald ( ouvr. cité, p.18).
Celle-ci montre bien que la « base essentiellement populaire » du vote FN est un mythe et encore plus l’idée reçue d’un glissement de l’électorat communiste vers le FN! Une idée entretenue par des politologues libéraux à la Perrineau et des sondages inspirés. Les ouvriers, en fait, ne votent pas plus Le Pen que la moyenne nationale : ils constituent en gros, 20% de son électorat, ce qui ne signifie évidemment pas que 20% des ouvriers votent pour lui, mais en ferait, selon Perrineau, le « premier parti ouvrier de France » : une manière qui se veut sans doute subtile de délégitimer la classe ouvrière tout en légitimant le FN. Il y a aussi 20% d’agriculteurs dans l’électorat lepéniste : est-ce que cela fait du FN le premier parti agricole de France? Et les plus de 20% de commerçants, artisans et petits patrons dont on ne parle jamais? Sans compter les professions libérales, de plus en plus présentes dans cet électorat, jusqu’à 26% (voir Annie Collowald). Quant aux chômeurs, comme il y en aurait 30% dans l’électorat FN, on voudrait faire croire qu’un tiers des chômeurs vote Le Pen. Falsification grossière : entre les non-inscrits et les abstentionnistes (40%), moins de la moitié des chômeurs ont voté en 2002, ce qui ramène leur part dans le score de Le Pen à moins de 15% (Pierre Tevanian, Sylvie Tissot, Les mots sont importants 2000/20010, « La France d’en bas n’est pas sarkozyste », repris sous le titre « La France d’en bas n’a rien demandé », www.lmsi.netwww.lmsi.net )
Quant à la fable d’un électorat communiste qui se transforme en électorat lepéniste, c’est, au moins, une imposture! Qui peut prétendre que, lorsque dans tel bureau de vote le score FN augmente et le vote communiste diminue, cela signifie un passage automatique des électeurs communistes chez Le Pen? Les données nationales indiquent au contraire que ce transfert est marginal : 5% des électeurs PCF de 1995 ont voté Le Pen en 2002 contre 18% des ex-électeurs de Chirac et 8% des ex-électeurs de Jospin (Pierre Tevanian et Sylvie Tissot, art. cité). En réalité, c’est la minorité d’ouvriers votant déjà à droite qui se radicalise et passe au vote FN, quant aux électeurs communistes disparus ils ont cessé de voter ou votent pour d’autres formations de gauche. Il faut rappeler ici que les formes de socialisation construites par la culture communiste diffusée dans la classe ouvrière par le PCF excluaient par définition tout racisme, antisémitisme et xénophobie. Tout n’en a pas été perdu. Pour ce qui est de l’électorat lepéniste, il reste, pour l’essentiel, celui de l’extrême droite classique : la petite (artisans, petits commerçants) et moyenne (professions libérales) bourgeoisie traditionnelle, âgée et en déclin.
18 octobre 2010